Les deux Moineaux Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Deux Moineaux prisonniers s'en aimaient davantage ;
Mais sous le même toit ils vivaient séparés.
A leurs feux feulement de tems en tems livrés,
Pour apaiser Vénus on leur ouvrait la cage.
Leur cœur de ces instans hâtait le doux retour.
Ces amans le matin célébraient moins l'aurore,
Que l'espoir d'être heureux avant la fin du jour.
Si le soir ils chantaient encore,
Le soir ils bénissaient l'Amour.
Dans leurs douces chansons l'Amour entrait sans cesse.
Pourtant, de ses faveurs pleurant la rareté,
Ils souhaitaient à leur tendresse
Moins de désirs, dit-on, et plus de liberté.
Mais ces mêmes désirs font une volupté,
Petits oiseaux, pourquoi vous plaindre ?
Hélas ! on voit fi-tôt s'éteindre
Un feu qui par l'espoir cesse d'être irrité !
Petits oiseaux, l'Amour est un enfant gâté,
Toujours impatient d'atteindre
Aux objets qu'on refuse à son avidité.
Leur prix se perd à l'instant qu'on lui cède,
Et le refus leur donnait mille appas.
Il est de glace aux trésors qu'il possède ;
Il est de feu pour tout ce qu'il n'a pas.
Le Tems fit une brèche à la cage du mâle :
L'Amour l'avait, dit-on, secondé quelque peu.
Tout s'use sous les traits de l'un et l'autre Dieu ;
Pour la destruction leur puissance est égale.
Il faut à la prison remettre des barreaux :
La même cage alors reçoit les deux Moineaux :
L'amant alla coucher au nid de sa maîtresse.
Qui fut le plus content de l'hôte ou de l'hôtesse ?
Ils le furent également.
Ce jour-là leur amour éclata vivement.
Le lendemain il fut moins tendre.
A peine ils ont cinq fois compté l'aube en ce lieu,
L'autre cage revient : le mâle alla s'y rendre
Sans soupirs, sans regrets, même sans dire adieu.

Livre I, fable 11




Commentaires