Les Moineaux Valéry Derbigny (1780 - 1862)

Las de voler à l'aventure,
Incertains de leur nourriture,
Une vingtaine de moineaux,
Désireux de bien vivre et de vivre en repos,
Dans une ferme avaient pris domicile.
Ils s'y plaisaient ; la chose était facile :
Là se trouvaient pour eux tous les biens à la fois :
Du blé dans les greniers, dans les champs des semences ;
Et dans les jardins, force pois.
Rien ne manquait. Mais de leurs jouissances,
Celle qui les charmait surtout,
C'était des pots rangés au haut d'une muraille,
Pots tout exprès percés par l'un et l'autre bout,
Et placés de façon que la mousse et la paille
Et le tendre duvet, avec art réunis,
S'y pouvaient arrondir pour y former leurs nids.
Ah ! sans doute une Providence
A leur félicité promettait un long cours :
Nager au sein de l'abondance,
Et, pour couver leurs oeufs, doux fruits de leurs amours,
Avoir une agréable et sûre résidence.

Deux des leurs cependant, couple expérimenté,
Chez qui l'âge avait augmenté
L'heureux instinct de la prudence,
Avaient fait leur nid à l'écart,
Craignant d'exposer tôt ou tard
Leur premier bien, l'indépendance.
Un jour que tous ensemble ils se trouvaient aux champs,
"D'où vous vient, leur dit-on, cette humeur solitaire ?
Pourquoi mettre tant de mystère
Au choix de votre couche, au lieu d'être céans,
Comme nous, logés par le maître ?
Pourquoi vous exposer, sur la cime d'un hêtre,
A recevoir la pluie et la grêle et le vent,
Même à risquer le plus souvent
L'existence de ceux qui de vous doivent naître ?
Pour fuir ainsi votre bien-être,
Avez-vous donc quelque grave raison ?
Le maître du logis est un si galant homme !
Voyez : il nous traite tout comme
Si nous étions de la maison.
Voilà tantôt une saison
Que nous habitons sa demeure ;
Eh bien ! chaque jour, à toute heure,
On le voit prodiguer « ses biens
» A ceux qui font vœu d'être siens. »
Chez lui, maîtres, valets, êtres de toute espèce,
Se partagent en paix la commune richesse.
Tous sont traités avec le même soin
Chaque hôte, selon son besoin,
Est un convive qu'on appelle
A prendre sa part d'un banquet,
Oui y chaque jour se renouvelle.
Les porcs vont se gorger en un large baquet,
Les dindons empâtés, les poulets mis en graisse,
Tout prospère à la fois, tout vit dans l'allégresse :
Pour le bonheur de tous, tout est si bien conduit !
Les chats vont au fromage et les rats au biscuit ;
Pas un être qui, jour et nuit,
Dans cette joyeuse campagne,
Ne soit repu, choyé,
Dorloté, festoyé ;
C'est un vrai pays de cocagne.
Aussi tout le monde est content.
Que n'en venez-vous faire autant ?
Que si vous préférez toujours vivre en ermites,
Du moins, expliquez-nous pourquoi. »

— « Pourquoi ? disent nos cénobites,
Ah ! puissiez-vous l'apprendre sans effroi !
Vous êtes, dites-vous, heureux dans cette ferme ;
Tout ce que vous voyez, tout ce qu'elle renferme,
Vous êtes satisfait de tout.
Tout ici vous charme et vous touche,
Sans que rien vous y semble louche ;
Vous n'avez pas été partout ;
Suivez-nous donc ; visitons jusqu'au bout ;
Tournons autour de ce repaire ;
De ce maître si débonnaire
Vous avez vu la cour, le jardin, le grenier ;
Poursuivons : passons au charnier.
Voyez-vous ces monceaux d'ossements et de plumes ?
On ferait ici des volumes
Des grands méfaits qu'attestent ces débris.
Et vous, dans vos si doux abris,
Depuis que mars a vu ses semailles levées,
Vous avez, comme nous, mis à point trois couvées ;
Que sont devenus vos petits ?
Les avez-vous revus depuis qu'ils sont sortis ?
Ces questions vous interdisent.
Ce qu'ils sont devenus ! ces plumes vous le disent.
Vous frémissez. Vous les croyiez partis.
Les malheureux ! ils ont été rôtis !
Fuyez, fuyez ; loin de ce domicile
Allez chercher un autre asile ;
Rompez au plus vite un lien
Qui vous coûterait davantage ;
Mais, en partant, retenez cet adage :

» Quand l'homme aux animaux procure quelque bien,
Ce n'est pas pour leur avantage,
Mais pour le sien. »

Livre II, Fable 3




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