Le Chat, la Mouche et les Souris Fortuné Nancey (? - 1860)

Bien mieux que moi, le divin maître
Dont je cherche, quoiqu'avec soin,
A suivre les pas, mais de loin,
Complètement a fait connaître
Les travestissements et les tours entrepris
Par les chats guettant les souris.
Comme son fin matois amuse,
Quand pendu par la patte, ou bien enfariné,
Il trouve pour prix de sa ruse,
Grande victoire et bon diné !
Mais il a tant de fois de la gente féline,
Aux dépens des souris, engraissé la cuisine ;
De ce peuple traqué, suivi de tous côtés
Ses chats ont si souvent trompé la confiance,
Qu'aujourd'hui plus expert il vit en défiance,
Que les plans les plus fins se trouvent éventés.
Dans le métier plus d'eau, comme l'on dit, à boire ;
Même qu'on soit ou non par les revers atteint,
C'est ainsi qu'aujourd'hui, tout le monde se plaint ;
Mais tout le monde aussi finit par n'y plus croire.
Le chat pourtant dont je vous dois l'histoire,
Quoiqu'un des plus rusés et des plus patients,
Était bien en effet à bout d'expédients.
Les souris gardaient leurs tanières,
Rien ne les tentait plus, rien ne les entrainait ;
Ni lardons au dehors, ni silence parfait,
Ni la nuit veuve de lumières ;
C'était à perdre tout espoir.
Il n'est plus qu'un moyen, dit-il, C'est qu'un faux frère
Se faufile dans leur manoir,
Et que là, perfide émissaire,
Il sache les tromper si bien,
Que renonçant à sa prudence,
Et des chats ne craignant plus rien,
Le peuple entier sorte en toute assurance.
Une mouche dans ce moment
Vient à passer, et son bourdonnement,
Pour cette fois plait fort à son oreille ;
Il y songe, l'appelle, expose son tourment,
Lui donne du comptant et lui promet merveille ;
C'est un service à rendre et peut-on hésiter,
Quand pour la bonne cause on se voit acheter.
La mouche accepte donc et la voilà partie
Pour le royaume des souris ;
Elle arrive, ouvre son avis,
Vante aux jeunes surtout, une heureuse sortie
Sans nul danger de pièges ni de chats
Puis suppute à plaisir tous les mets délicats
Que sans peine au dehors on trouve en abondance ;
Bref, elle parle avec tant d'éloquence,
Qu'entraîné sur ses pas, tout un peuple séduit
Sans crainte se décide à quitter son réduit.
Quelques vieux cependant, plus sagesse ravisent,
Arrêtent la colonne., et prudemment se disent
Qu'avant de s'embarquer, il est bon de savoir
Quel intérêt si grand la mouche peut avoir,
Pour être en leur logis venue,
Elle chez eux si peu connue ?
À cette question qu'elle n'attendait pas,
Notre mouche se trouble, hésite.,
On voit en elle un envoyé des chats,
Ainsi s'explique sa visite.
D'un espion, d'un traître, on sait quel est le sort
Quand par malheur pour lui son ennemi le frappe.
On s'apprête à la mettre à mort,
C'est par miracle qu'elle échappe.
Le chat de son côté la voyant revenir,
S'avance en souriant vers elle,
Croyant apprendre une heureuse nouvelle ;
Trompé dans son espoir, il songe à la punir,
Etend la patte et dans sa rage
Lui paye, en l'écrasant, son maladroit message.

Puisse-t-on voir ainsi de tous les espions
Prendre fin sans succès les tristes missions !

Livre II, fable 7




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