Deux voisins, deux amis, que les rats visitaient
Bien plus souvent qu'ils ne le désiraient,
Pour mettre fin aux attaques fâcheuses
De cette race aux dents rongeuses,
Avaient chacun bonnement fait l'achat,
D'un maître chat,
Bien propre à défier la meilleure ratière.
Une fois au logis, selon son jugement,
Chacun procède à sa manière,
Et nos chats sont ainsi conduits diversement.
L'un croit qu'il faut l'élever durement,
Et que pour être bon, un chat toujours doit faire
À la cuisine maigre chère.
Il en obtient bons résultats :
L'animal affamé fait tant la chasse aux rats,
Qu'il sait en délivrer son maître.
L'autre ami, plus humain, en ce point fait paraître
Qu'il a le cœur et moins sec et moins dur ;
Il croit d'ailleurs qu'il est plus sûr
De prendre soin de l'animal utile,
Qui va tenter pour lui guerre bien dissicile ;
Aussi son chat est-il choyé,
Bien caressé, surtout fortifié
Par mainte bonne nourriture.
Puis passant à la fin la main sur sa fourrure,
Le maître comptant bien en tirer bon secours,
Voir les rats exposés à mille méchants tours,
Lui tient à peu près ce discours :
« Allons, voici le temps, pour toi qu'en abondance
« Sans reproches, sans repentir,
« J'ai comblé de tous biens, pris soin de bien nourrir,
« De prouver ta reconnaissance,
« Sur les rats tombes sans pitié,
« Qu'il soit cet ennemi par toi sacrifié.,
« Qu'il n'en reste pas un ; des soins que j'ai pu prendre
« C'est le moins que je puisse attendre,
« A cela ton honneur aussi bien que ta foi
« Sont engagés, je compte donc sur toi. »,
Mais le chat ne l'écoute guère,
La cuisine est mieux son affaire.
Il y rentre au plutôt laissant les rats en paix,
Et son maître en est pour ses frais.
Par ces deux chats de nature semblable,
Si différents pourtant que j'offre en cette fable,
Je pourrais bien d'abord vous faire voir
Que l'éducation sur nous a tout pouvair ;
Que tel qui, dirigé par un habile maître,
Avec éclat se serait fait connaître,
N'est plus rien qu'une nullité,
S'il tombe dans l'enfant gâté.
Mais ce que de plus on y trouve,
C'est que l'homme est bien fou, s'il croit que les bienfaits,
Les services rendus que malgré tout j'approuve,
Sont des liens enchaînant à jamais
Les cœurs à la reconnaissance.
Si par hasard quelque beau dévoûment
Trouve ici-bas sa récompense,
Si l'obligé tient son serment
C'est dans son intérêt., qu'il craint ou qu'il espère ;
Il agit en cela comme messieurs les chats
Qui nous débarrassent des rats ;
C'est pour çux, non pour nous qu'ils leur font rude guerre.