Grippe-Souris, chat de bonne maison,
S'étant acquis un beau renom
De prud'homie et de délicatesse,
Las de guetter et de chasser les rats,
Voulut vivre aux dépens des chats,
Comme aujourd'hui, dans la vieille Lutèce,
Maint charlatan, qui ne s'en vante pas,
Vit aux dépens de notre espèce.
Il rassembla tous les chats de l'endroit,
Et prenant son air souple et sa voix pateline :
« L'hiver, dit-il, sera long, rude et froid.
Nous sommes menacés d'une grande famine ;
L'almanach l'a prédit ; et, si l'on n'y pourvoit,
Nous ferons tous maigre cuisine....
Or, voici le projet par mon zèle enfanté :
Chacun de nous, pendant l'été,
Épargnera sur sa pitance ;
Et dans un grenier d'abondance
Ce superflu par chacun apporté
Nous servira dans les jours d'abstinence.
Un bon gérant choisi par nous
Y veillera dans l'intérêt de tous.
Un grenier fort commode est en ma jouissance ;
Et, s'il peut être à votre convenance,
Dès ce moment il est à vous. »
Les miaulements de l'assemblée
Ont accueilli ce plan conservateur ;
Et pour gérant et directeur,
L'inventeur est élu d'emblée.
Tout s'exécute franchement ;
Du digne actionnaire on sait l'empressement.
L'un porte du lapin, l'autre de la poularde ;
Qui du mouton, qui du perdreau,
Et le gérant, fidèle à son bureau,
Prend tout, enferme tout, et met tout sous sa garde.
L'hiver enfin arrive, et le froid l'a suivi,
Puis la gelée et la disette.
L'almanach n'avait point menti :
Le hasard est souvent prophète ;
Et les associés, talonnés par la faim,
Viennent frapper au magasin.
C'est le même gérant, hélas ! mais son langage
A changé comme son visage :
Il leur débite, au lieu de rogatons,
Des sinistres, des avaries,
Des rats, des vers, et cent autres chansons.
La triste vérité se montre alors sans voile ;
La scène n'offre plus qu'un fripon et des sots ;
Et pour toute ressource, il leur reste les os,
Qu'il a sucés jusqu'à la moelle.
C'est ainsi, bonnes gens, que fondent nos écus,
Sous les doigts des jongleurs, dont l'histoire maudite
Commence par un prospectus
Et finit par une faillite.
S'ils arrivent chez vous, leur sacoche à la main,
Fermez vos sacs à leur approche ;
Et, s'ils croisent votre chemin,
Mettez les mains sur votre poche.