Dans un salon vaste et doré
Que des portraits de ses ancêtres
Un grand seigneur avait paré,
Gros-Lucas attendait le réveil de ses maîtres.
C'était un fermier du bel air,
Prédisant le froid et l'orage,
Déchiffrant la gazette et le Petit -Albert,
Suppléant au besoin l'adjoint, le magister,
Et chez le curé du village,
Le dimanche, ayant son couvert ;
Un marguillier, enfin un personnage.
Notre manant, grave et silencieux,
Porte de bas en haut ses regards curieux
Sur le cercle qui l'environne,
Et voit tous ces portraits qui le suivent des yeux.
Il les salue, et d'abord il s'étonne,
Puis se ravise ; et puis sa vanité
Sur l'accueil qu'on lui fait argumente et raisonne.
« Je suis donc, se dit-il, estimé dans ces lieux ;
Car ces dames et ces messieurs
Sont occupés de ma personne. »
Là-dessus, chapeau sous le bras,
Se rengorgeant, soufflant à pleine joue,
Et comme un paon faisant la roue,
Le pauvre sot se promène à grands pas.
Il croit bientôt qu'on le nomme tout bas ;
Et déjà même il entend qu'on le loue.
Que de gens moins grossiers, mais non moins vaniteux,
Pensent que, pour un livre, un discours de tribune,
Pour les talents cachés qu'ils admirent en eux,
Pour leur beauté, leur mise, leur fortune,
De l'univers entier ils attirent les yeux !
On les voit en public étaler leurs figures.
Le bonheur de paraître éclate dans leurs traits,
Dans leurs regards, leurs gestes, leurs postures.
Pauvres gens, faites moins de frais !
Vous posez devant des peintures.