Près d'un bûcher, où, sans ordre et sans choix,
S'entassaient rondins et broussailles,
Débris de meubles, de futailles,
Fagots, copeaux, enfin toute sorte de bois,
Un charbon gros comme une noix,
Mais bien vif, bien ardent, tomba, par aventure,
De la pelle d'un villageois
Qui l'emportait dans sa masure,
Là, par hasard, au même instant,
Reposait sur l'herbe flétrie
Un soufflet dont le maître, étameur ambulant,
Contre le bûcher même appuyait en ronflant
Ses membres fatigués et sa tête alourdie.
« Hélas ! dit le soufflet, quel sort pour un charbon !
Tu vas donc t'éteindre sans gloire ;
Et dans peu de moments tu ne seras plus bon
Qu'à dessiner quelque figure noire
Sur la muraille d'un bouchon.
Quel sort serait le tien si tu voulais me croire !
Sous mon souffle par toi ce bûcher enflammé
Te ferait un nom dans l'histoire,
Et dans tous les journaux tu serais imprimé. »
Le charbon en petille et d'orgueil et de joie.
Sous le souffle fatal qui le pousse en sifflant,
Il saute, il roule étincelant ;
Il s'attache aux copeaux, il en a fait sa proie.
Bientôt sur le bûcher la flamme se déploie,
L'enveloppe, et dans l'air s'élève en mugissant ;
Et tout le village tremblant
Craint de subir le sort de Troie.
Mon charbon, direz-vous, doit être bien content.
Hélas ! par le soufflet aux atteintes mortelles,
Broyé, brisé, réduit en étincelles,
Dans un coin ignoré de l'immense brasier,
Il avait fondu tout entier.
Le soufflet à son tour est surpris par la flamme.
Laissé par l'étameur, qui s'est hâté de fuir,
Il sent brûler et son bois et son cuir,
Et reste sans souffle et sans âme.
Que leur destin vous serve de leçon,
Vous qui soufflez le feu des discordes civiles ;
Vous, surtout, jeunes cœurs, instruments trop dociles
De qui vous prend pour un charbon.