Le Soufflet royal Etienne Catalan (1792 - 1868)

L'Évangile nous dit : Chrétiens, tendez la joue
A qui veut la frapper ! Mais, le Démon se joue
Du Christ et de ses lois ; à ce mot « Point d'honneur »,
Quelque pieux vouloir qui règne en notre cœur,
Il l'en chasse, et Dieu sait quel orgueil, quel délire
Nous gouverne aussitôt, nous pousse, nous fait dire :
Je suis homme avant tout !... Voyons donc, en effet,
Comment nous nous vengeons quelquefois d'un soufflet,
Et qui des deux, l'Enfer ou le Ciel, en doit rire.
C'était un certain soir, le jeune Roi Louis,
Quinzième de ce nom, traitait ses Favoris.
On buvait sec alors ; bref, soit que du Champagne
Les esprits eussent mis ceux du Prince en campagne,
Soit que quelque avertin du reste y donnât lieu,
Louis souffleta net son ami Richelieu.
Le Duc portait son vin comme un vrai gentilhomme ;
Mais, porter un soufflet !... Trop lourde en est la somme,
Se dit-il, et je dois le rendre, et, sur ma foi,
Je le rendrai !... Le rendre ! à qui donc ? C'est le Roi
Qui l'a donné !... Le roi, me traiter de la sorte !...
Ah ! quand ce serait Dieu, Dieu lui-même, qu'importe !...
Le Duc frémit, hésite ; et puis, se ravisant,
Il frappe son voisin à la joue, en disant :
Faites passer, Messieurs, le Roi veut que ça passe...
Et le soufflet royal va franchissant l'espace ;
Mais, quand, de joue en joue, à partir du premier,
Il eut tourné la table, et qu'il vint au dernier, —
Ce n'était pas le Roi que ce dernier sans doute,
Un Roi n'est le dernier en rien, - coûte que coûte,
Le dernier à qui fut le soufflet départi...
Le dernier... ----- Hé bien, donc ?... - Il en prit son parti
Non, sans dire, moitié souris, moitié grimace :
Sa Majesté, Messieurs, ne veut plus que ça passe.

Chacun d'eux s'en tira, j'y consens, comme il faut ;
Mais, votre Point d'honneur, il est pris en défaut,
Accordez- moi cela du moins ; et, pour tout dire :
Qui, le Ciel ou l'Enfer, cette fois en dut rire ?
Et, qu'est-ce donc, enfin, que ce beau Point d'honneur,
S'il a raison ou tort, selon que l'Offenseur
Sera Sujet ou Roi ? s'il s'emporte ou s'apaise,
Non pas selon le fait, mais bien selon le rang ?
Quoi, plus il vient de haut, moins un soufflet lui pèse !...
Un soufflet !... Écoutez Érasme, il parle franc :
Fou, dit-il, qui le donne, autre fou qui le rend.

Livre III, fable 15




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