Les deux Brayeurs Etienne Catalan (1792 - 1868)

Je ne sais trop s'il est, en mon livre, une histoire,
Dont puisse douter le lecteur ;
Mais, quant à celle-ci, bien la devra-t-on croire,
Car, Cervantes en est l'auteur,
Et Sancho Pança le conteur.


Sancho Pança raconte, avec cette malice,
Dont Cervantes jamais ne l'affuble à demi,
Que deux Officiers de justice,
L'un Procureur Fiscal, l'autre Vice-Bailli,
Étaient, chose extraordinaire,
Et qui ne se verra, peut-être, qu'une fois,
Maîtres passés en l'art de braire.
L'un d'eux ayant perdu son âne dans le bois,
L'autre lui dit : C'est là, Compère,
C'est là l'occasion, si bien vous me croyez,
D'éprouver notre savair-faire
En ce comment je brais, et comment vous brayez.
A chaque bout du bois plaçons-nous tout sur l'heure,
Et vous d'ici, moi de là-bas,
Brayons tous deux à la meilleure.
Si vers vous, ou vers moi, votre âne ne vient pas,
Oh! je le tiens pour une bête ;
Mais, n'en ayez souci, je gagerais ma tête
Que le drôle y viendra….. Sus, l'un de ce côté,
Et l'autre à cette extrémité,
Les voilà qui vous font une telle tempête
De braiments si parfaits, que chaque compagnon,
Trompé par les braiments de l'autre, qu'il croit être
Le véritable Aliboron,
Se rapproche de l'Amphion.
Mais, dès qu'ils ont pu reconnaître,
En ce virtuose accompli,
Celui-ci celui-là, celui-là celui-ci,
Nos gens de s'entre-dire : Est-ce donc vrai, Compère,
Que c'était vous qui saviez braire ainsi,
Et non mon âne ? —Par mon père,
Oui, c'était moi, c'était bien moi. -
Hé bien, Compère, sur ma foi,
Je ne vois, pour le chant, aucune différence
Entre un baudet et vous, si que la préférence
Vous doive appartenir. - Ah ! Compère, je crois
Que vous vous méprenez, en parlant de la sorte ;
C'est à vous que le los tout entier en revient.
Quant à la voix, Stentor ne l'avait pas plus forte,
Et, pour l'haleine, elle soutient
Les roulements, qu'aucun âne, ce semble,
Ne les ferait si bien que vous.
Bref, vous en savez plus que nous,
Et que tous les ânes ensemble.

Nos deux ânes, à qui mieux mieux,
S'entre-louaient, comme on voit, d'ordinaire,
S'entre-louer des gens, qui n'ont loi de le faire,
Que par là qu'ils ne sont en rien moins ânes qu'eux.

Livre III, fable 17




Commentaires