Au bord de certain lac, un jour, des Passereaux
Etaient venus glaner, après la moisson faite,
Lorsqu'un Épi de blé, qu'au tranchant de la faux
Avait soustrait un abri de roseaux,
Leur apparaissant là, debout en sa retraite,
Chacun d'en convoiter aussitôt la conquête.
Mais, l'un d'entr'eux, un franc Moineau gros-bec,
Un vrai crâne, de ceux que jamais rien n'arrête,
S'en saisit tout d'abord, et, sus, s'envole avec...
Dois-je vous dire, à ce trait, leur furie,
Et n'entendez-vous point leurs cris ?
Tous convoitaient l'Épi ; mais, dès qu'un seul l'eut pris,
L'égoïsme se tut, pour devenir l'envie,
Sous le beau nom d'amour du bien commun,
Sanguinaire vertu, pour peu que soit à jeun :
C'est notre bien à tous, qu'il faut qu'on se partage,
Sinon, mort au brigand ; Amis, fondons sur lui ! -
Et vous eussiez vu l'étourdi
Forcer d'aile, fuir le rivage,
Disparaître au-dessus du liquide élément,
Sans qu'il songeât le moins aux périls du voyage ;
Et ses rivaux d'en faire autant.
On l'a suivi, rejoint, et le combat s'engage...
Pour un Épi : qu'ils étaient sous !
L'homme, avec sa raison, parfois est-il plus sage,
Lui qui, pour un fétu, se va mettre en courroux,
Lui qui, sur un fétu, souvent, fonde sa gloire ?
Pourquoi les animaux vaudraient- ils mieux que nous ?
Vingt fois, pris et repris, l'objet de la victoire
De bec en bec avait déjà passé ;
Et nos héros voulant, en leur justice extrême,
Quand pris était, chacun le garder pour soi -même,
Sans doute le combat n'eût de longtemps cessé...
Mais, vient une bourrasque, et l'Épi leur échappe ;
Le tourbillon l'emporte ; un esturgeon le happe ;
Le voilà donc perdu pour tous ;
Et les voilà plumés, sanglants, brisés de coups.
Il ne leur restait plus qu'à regagner la plage :
La plage ! qu'ont-ils fait ? Partout et sans partage,
Le lac semble régner ; partout, le ciel et l'eau
Former, pour les enceindre, un immense réseau...
Troublés, anéantis, par ce fatal mirage :
Adieu leur force et leur courage ;
Adieu les insensés ! Là, s'ouvre leur tombeau :
Point ne revint au port l'ombre d'un Passereau !
Mortels, j'ai peint votre injustice :
Mon lac, c'est l'autre vie, où, d'un égal supplice,
L'égoïste et le ravisseur
Verront un jour punir leur funeste avarice.
Ô vous qui, transportés sur les ailes du vice,
Remplissez l'univers de trouble et de fureur,
Tremblez, Méchants, tremblez : il est un Dieu vengeur !