Le Lapin et les petits Oiseaux Léon Riffard (1829 - ?)

Sous un sophora séculaire
Dont les rameaux, à quelques pieds du sol,
Se déployaient en parasol,
Une magnifique volière
Installée au milieu d'un parc, sur le gazon,
Abritait sous, son toit, caché dans le feuillage,
Tout un peuple d'oiseaux, divers par le plumage.
Aussi bien que par le ramage,
Qui du matin au soir emplissaient de chanson,
Dirai-je leur palais ? dirai-je leur prison ?
Un des hôtes du voisinage,
Bien connu - c'était Jean Lapin -
Ne manquait pas chaque matin,
Quand le ciel blanchissait, à l'heure du gagnage,
De pénétrer dans le jardin
En se coulant sous le treillage
Par un passage
Pratiqué dès longtemps à l'angle du verger.
Vite, il courait au potager
Où les plates-bandes d'oseille,
Les céleris bien verts et les choux presque bleus
Se coloraient déjà d'une teinte vermeille.
Et Dieu sait le dégât ! - O repas savoureux !
O le jardinier malheureux ! -
Et le voilà, repu, qui, parmi la rosée,
Aux pointes d'herbe tamisée,
S'en allait trotter alentour
De la volière. Un certain jour
Que nos petits chanteurs, dans leur cage fleurie
De goboeas, de liserons,
En l'honneur du matin chantaient leur symphonie,
Jean Lapin qui flânait dans l'herbe, aux environs,
S'approcha tout à coup et leur tint ce langage :
- Vraiment, je vous admire, avec votre ramage.
Ma parole, on dirait que vous êtes heureux !
- C'est vrai, dit un serin en lissant son plumage.
- Comment, reprit Jeannot, eh bien, et l'esclavage ?
Voyez autour de vous tous ces jolis massifs,
Ces couverts de tilleuls, ces palissades d'ifs,
Dont vous sépare ce grillage,
C'est là qu'il ferait bon, sous cet épais ombrage,
De cacher vos chansons, vos ébats, vos amours,
Libres ! pendant qu'aux alentours,
S'ouvre de tous côtés l'espace sans limite,
L'espace fait pour vous, créatures d'élite !
Car un oiseau sans liberté
Ce n'est pas un oiseau. - Bien dit, en vérité,
Ce lapin parle comme un ange !
S'écria la grosse mésange. -
Un étourneau savant, à l'instant consulté,
Se prononça pour la révolte.
- C'est la veille de la récolte,
Dit un chardonneret, sauvons-nous, mes amis !
Nous trouverons le couvert mis
A même dans les blés, et nous ferons la fête ! -
La linotte approuva d'un petit air de tête,
Et le merle s'abstint de siffler. Un moineau
Qui, depuis l'an dernier, nourri dans la volière
A bouche que veux-tu, gras à lard, débonnaire,
Goûtait peu, dans le fond, l'avis de l'étourneau,
Objecta doucement : Partir, soit ! mais la porte ? »
-Le principe avant tout ! Pour l'issue, il n'importe !
Nous verrons, répliqua messire sansonnet.
- Le principe avant tout ! cria le perroquet.
A bas Pierrot. - Oui, oui, que le diable l'emporte!
Votons pour le principe. - Ici, Jeannot Lapin,
Satisfait de son éloquence,
Proposa de remettre à demain la séance.
- Oui, demain, mes amis, demain, de grand matin,
Vous verrez les effets de mon art. Mais silence :
On entend quelque bruit !
Je vais dormir jusqu'à la nuit.
Comptez sur votre délivrance ! -
Le soir même, Jeannot se mettait au travail, *!%^
Grattant, flairant, creusant, et rejetant la terre %
De çà, de là, bien en arrière,
Sans outil, sans autre attirail
Que ses pieds de devant, et ses pieds de derrière.
Et des griffes, Dieu sait ! - Ni trêve, ni retard.
Mieux que machines et tarière
Il aurait de ce train percé le Saint-Gothard !
Enfin il faisait nuit encore,
- A peine une lueur, du côté de l'aurore. ?-
Lorsque Jeannot Lapin, par un dernier effort,
Soulève, fait craquer autour de lui la terre,
Et surgit tout à coup au coin de la volière
Noir comme un porion : il est maître du fort !
En un clin d'œil, la cage est vide.
Le maître furieux, et de vengeance avide,
Ne rêve plus que noirs projets.
Vite des pièges, des collets !
Jeannot, ravi de sa victoire,
- Quel triomphe pour un lapin ! -
Modestement se couronne de thym.
Il conte partout son histoire :
Vraiment vous refusez d'y croire ?
Eh bien venez y voir. Tenez, voilà le trou,
Par où tous ont passé, tous, le fait est notoire -
Et pour mieux l'expliquer, il avance le cou...
Pincé !... pris au lacet qui, crac ! vous le garotte.
Tant de gloire finit par une gibelotte !
Pauvre Jeannot, dit la Linotte,
Il nous a sauvés cependant.
Oui, mais c'était un imprudent,
Reprit un grand serin, perché sur le même arbre.
- Oh ! que ne puis-je avair de l'airain et du marbre,
Ajouta l'étourneau savant.
Pourquoi ? dit le pierrot assez étourdiment.
- Pourquoi ? nous lui ferions un digne monument
En manière de cénotaphe...
J'ai lu ce mot, je ne sais où
- Et quelle serait l'épitaphe ?
- Aux mânes d'un héros - d'un héros... ou d'un fou.

Livre IV, Fable 10




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