Deux Fous... J'aime à parler des fous,
Car; c'est toujours parler des hommes ;
Érasme même croit que, vous et moi, nous tous ,
En notre meilleur sens , tant soit peu fous nous sommes.
Deux Fous, vieux riverains de la Doire, en Piémont,
Armés chacun d'un balai de bruyère,
Voulaient, un jour, balayer la rivière,
L'un en aval, l'autre en amont,
Prétendant, celui-ci, qu'elle coulait trop vite,
Et celui-là, trop lentement.
Les fous, si fous qu'ils soient, ont leur raisonnement ;
Or, le dernier disait : Si bien je précipite
Ces flots qui ne vont point, ceux qui viennent après
Auront loi de hâter leur course ;
Et le premier : Si, vers leur source,
Je les refoule tous, que de soins, que d'apprêts,
Il leur faudra pour reconnaître
Leur rang entre eux ; partant donc, leur essor,
Dont je me vois déjà le maître,
En deviendra plus lent... Mais, inutile effort !
Nos Fous ont beau pousser chacun à sa manière,
Leur peine n'aboutit qu'à troubler la rivière,
Et telle elle coulait , telle elle coule encor.
Ô vous, nos grands Diseurs , dont l'esprit se consume
A doter l'Univers de constitutions,
Mes Fous, c'est vous ; leur balai , votre plume ;
Leur rivière, les Nations,
Que vous voulez pousser en avant, en arrière.
On vous a vus, parfois, troubler les flots humains ;
Mais, pour les gouverner, il s'agit d'autres mains,
Comme aussi d'une autre lumière ;
Et, grâce au Maître des destins,
Sans vous doit s'arrêter ou couler la rivière !