Le Sage et l'Hôpital des Fous Etienne Catalan (1792 - 1868)

Un Sage visitait un Hôpital de Fous :
Singulier passe-temps, direz-vous, pour un Sage !
Le Sage veut tout voir, et c'est pour son usage,
Que Dieu nous fit divers et d'humeurs et de goûts :
Toute chose ici-bas, la raison, la folie,
Frappe, instruit un Érasme, un Socrate, un Platon.
Notre homme était à peine entré dans la maison,
Qu'un beau Vieillard, en qui s'allie
L'obligeance à la gravité,
L'aborde avec aménité :
Vous ne connaissez rien sans doute ;
De tout ce qui se voit et se fait en ces lieux ?
Laissez-moi vous guider, Monsieur, dans cette route ;
Pour votre cœur et pour vos yeux,
Comme elle sera triste ! A combien de misères,
L'art y vient, chaque jour, vainement compatir !
Êtes-vous bien sensible ? il vous faudrait partir,
Sans rien voir, croyez-moi ; car, vous ne savez guères
Quels tableaux vont ici s'offrir à chaque pas :
Infortunés ! mieux vaudrait le trépas,
Que tous ces maux soufferts sans espérance
D'un meilleur avenir ! Mais, du moins, la souffrance,
Qui, s'ils pouvaient sentir tout le poids de leur sort,
Leur ferait désirer la mort ,
Celle qui les dégrade, et pour eux me désole,
Ils l'ignorent, dit- on, et voilà, j'en conviens,
Ce qui parfois, aussi, pour ces gens me console . —
Notre Sage, étonné de pareils entretiens,
Dans un tel lieu, mais touché pour son guide,
Allait lui demander quels puissants intérêts
L'attachaient là, malgré ses apparents regrets ;
Lorsqu'un nouvel Acteur, à la mine intrépide,
Apparut tout à coup : Adorez-moi, vous tous,
Criait-il, en donnant la chasse aux autres Fous,
Moi, le grand Jupiter, moi qui porte la foudre !
À genoux ! à genoux ! profanes, ou ma main,
Ma main, qui fend la roche et qui dissout l'airain ,
Sans pitié pour un seul, va vous réduire en poudre ! ...
Qu'est- ce ci ? dit le Sage…..— Oh ! rien : ce Jupiter,
Cet homme, qui se croit un Dieu, sur sa parole,
S'il l'était bel et bon, saurait quelle est l'école,
Dont vous verriez en moi le magister ;
Car, s'il tenait le feu céleste,
S'il nous en menaçait, mon bras serait bien preste,
Et moi, Neptune, moi, d'un flot je l'éteindrais :
Oui, Jupiter, sa foudre , et tout le reste,
Fussent-ils là, je les engloutirais ! ... —

Et le Sage d'ouvrir de grands yeux, puis , de dire :
Il m'avait bien prédit que je m'attendrirais...
Qui l'eût pensé jamais, sans son propre délire ?
Cet homme aussi , cet homme, il a perdu le sens,
Lui qui parlait si bien ! Pauvres âmes humaines ! ...
Mais, tous les Fous sont- ils dans ces tristes domaines ?
Non, les cerveaux même les plus puissants,
Que quelque passion les prenne et les enflamme,
Les voilà détraqués ; nul donc n'a rien appris,
S'il n'est maître de ses esprits,
Et ne peut commander aux troubles de son âme.
Toujours ainsi fut fait, pourtant, notre univers,
Où la raison n'est chose, hélas ! des plus communes,
Qu'il n'y manqua jamais de soi - disant Neptunes.
Tout prêts à se moquer de ses faux Jupiters.

Livre I, fable 12




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