Dans un vallon charmant,
A l'ombre d'un riant bocage,
Se promenait un sage,
L'esprit calme et le cœur content.
Un ivrogne en chancelant passe,
Le chapeau sur l'oreille, et l'accent enroué,
Il chante, rien ne le tracasse.
«Tout ça va bien, dit-il, Dieu soit loué !
Ma terre est vendue et payée,
L'argent roule… Ah ! c'est un plaisir ! »
« Où vas-tu, figure noyée ?
Dit-il au sage. — A mon loisir
Je me promène ici. — Belle réjouissance !
Viens boire un coup, nous ferons connaissance.
— Je n'ai pas soif. — Que je te plains !
Tu m'as l'air un peu philosophe ;
Va, les rêves sont vains,
Le doux jus de la treille est la meilleure étoffe
Dont se compose le bonheur.
— Chacun l'entend à sa manière.
— Tu l'entends mal ; le vin chaufse le cœur,
Et rend paillard un sombre caractère.
— L'homme est content de cent façons,
Et pourvu qu'il le soit, n'importe !
— Ho ! ho ! la différence au train dont nous allons !
Tiens, le diable m'emporte,
Plus on se grise et plus on est joyeux !
Et tu conviens ; le bonheur, c'est la joie !
— Lorsqu'elle est modérée, oui. — C'est la seule voie
Qu'il faut suivre pour être heureux.
— Le vrai bien, c'est celui qui dure. »
Un an s'écoule, en ces mêmes vallons
Le sage, encor, célèbre la nature.
L'ivrogne, dégrisé, se présente en haillons.
« Qu'as-tu fait, lui dit-il, de ta meilleure étoffe
Dont se compose le bonheur ?
— Hélas ! argent, santé, j'ai bu tout, ô douleur !
Monsieur, par charité, faites-moi philosophe ! »
Le vrai sage toujours
Adora la philosophie.
Quand il n'en est plus temps le soi y prend recours :
Mais comment réparer la perte des beaux jours
Que l'inconduite use dans la folie !...