La Sagesse courait le monde,
Proclamant de sa voix féconde,
Parmi les villageois, comme au sein des cités,
Les plus utiles vérités.
Mais les gens ne l'écoutaient guère :
On la trouvait sèche et sévère ;
Et dès le soir on oubliait
Ce que tout un grand jour sa bonté publiait.
Bien plus, on la traitait de vieille radoteuse.
Elle en était toute honteuse,
Et pleurait, muette, à l'écart...
Vinrent à passer par hasard
La Nature et la Poésie,
Qui promenaient leur fantaisie
En couvrant les chemins de fleurs.
— Qu'est ceci ? D'où viennent ces pleurs ? —
La Sagesse conta l'affaire :
On la méprisait sur la terre ;
Elle allait retourner aux cieux,
Bien loin de ce monde odieux.
— Non, non, restez, bonne déesse,
Dit la Poésie ; avec nous
Les bons conseils de la Sagesse
Seront bien accueillis de tous :
Il leur faut un peu de parure.
A cette fin, de la Nature
Nous emprunterons les pinceaux,
Pour en tracer mille tableaux
Remplis d'enjouement et de grâce,
Et dans lesquels trouveront place,
Gravés par mon burin, dans la langue des dieux.
Vos aphorismes précieux.
A moi la fiction et l'éclat de la forme ;
Nature, h toi la scène et ses milliers d'acteurs,
Avec leurs mœurs ;
A vous le sens moral qui guide et qui réforme ;
A toutes trois, enfin, un monde d'auditeurs.
Nos discours vont rester inscrits dans la mémoire.
Et l'on nous couvrira de gloire. —
Ce qui fut dit fut fait. Les trois divinités
S'en allèrent de tous côtés,
Récitant de petits poèmes
Où se résolvaient les problèmes
Du bonheur et de la vertu.
Le mal s'y trouvait combattu
Par des arguments pleins de charmes,
Excitant le rire et les larmes.
On y défendait l'opprimé.
Le faible que rien ne protège,
Agneau, ciron ou fleur s'y retrouvait aimé.
Les grâces suivaient le cortège,
L'enjouement, les plaisirs, la fantaisie aussi...
Nos trois divinités ainsi
Se firent dignement connaître.
Leurs discours offraient mille appas ;
Tout un peuple ravi se pressait sur leurs pas.
Et la Fable venait de naitre.
Titre complet : La Sagesse la Poésie et la Nature, ou de l'origine de la fable.