L'Aveugle et le Boiteux Ferdinand Canu (1790 - 1876)

Il faut s'entr'aider dans la vie.
L'égoïste est un être inutile, odieux :
Verrait-on tant de malheureux,
Si ma morale était suivie ?

Un Aveugle ainsi qu'un Boiteux
Ensemble cheminaient à travers la campagne,
Égayant le trajet par maint propos joyeux.
Voyager seul est triste ; et rien moins qu'ennuyeux
Avec un compagnon, ou mieux une compagnie.
Tout allait bien, quand, par un mauvais pas,
Mes gens sont arrêtés. Comment vont-ils s'y prendre ?
Franchir un casser-cou n'est pas mince embarras ;
Il leur faudrait, pour l'entreprendre,
Avoir bon pied, bon œil ; et ce n'est pas leur fort.
Déjà maître clopin que ce retard tourmente,
Et peste, et jure, et se lamente,
Et de sa jambe croche accuse en vain le sort.
L'Aveugle, plus sensé, lui dit : « Mon camarade,
À quoi nous sert cette jérémiade ?
Se tire-t-on d'une embuscade
Avec des lamentations ?
Prêtez-moi votre vue ; elle est bonne, j'espère :
Servez-vous de mes pieds, ils ne sont pas moins bons ;
Nous pourrons de la sorte au péril nous soustraire. »
Le conseil était salutaire.

L'Aveugle sur son dos fait grimper mon Boiteux ;
Celui-ci le conduit de la voix et des yeux,
Et les voilà tous deux tirés d'affaire.





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