L'Aveugle et le Boiteux Jean-François Guichard (1731 - 1811)

Un aveugle avec un boiteux
Marchait de compagnie, ils allaient bien tous deux :
- Ah !... d'un gué que voici ferons-nous le passage ?
- De gens instruits je sais qu'il est très dangereux,
Et que de s'y fier il ne serait point sage.
Fondrières sont là qu'on ne peut éviter,
Si du milieu de l'onde on vient à s'écarter.
De mes deux yeux ne voyant goutte,
Je n'ai donc garde de tenter
Une aussi périlleuse route.
- Ma foi, mon camarade, autant vous en dirai.
D'une seule jambe je m'aide,
Et je la sens encor si raide
Que de périr ne risquerai...
Mais de reins vigoureux la faveur t'est échue,
Comme le don à moi de la meilleure vue ;
Reçois-moi sur ton dos, lors je te guiderai.
On y consentit de bon gré.
Or, l'un à l'autre nécessaire,
Le couple voyageur poursuivit son chemin,
Ce qu'aucun deux, seul, n'eût pu faire.

Cette fable s'adresse à tout le genre humain.

Livre III, fable 19




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