Un Berger, qui de son village
À vingt ans n'était pas sorti,
(On n'en trouve guère, à notre âge,
Qui ressemblent à celui-ci),
Voulut, du fond de sa province,
Aller voir une bonne fois
Le palais de son petit prince ;
Et, jusques-là, la distancé était mince :
Ces petits potentats fourmillaient autrefois.
Mon Colin donc met sa chemise blanche,
Ses souliers à boucles d'argent,
Son beau castor garni d'un frais ruban,
Enfin, sa mise du dimanche ;
Et le voilà parti, leste, gai, triomphant.
Il arrive en la capitale,
Et promène partout ses grands yeux ébaubis ;
S'arrête à tout, et de tout est surpris :
Pour lui, c'est un monde, un dédale.
Tout en criant miracle, il pénètre au séjour
Mon paysan ravi faillit perdre la tête.
Que c'est joli, disait Colin,
D'être ainsi Souverain !
Et qu'on est plus heureux à régner sur les hommes,
Que sur les moutons, les chevaux !
Nous, pauvres hères que nous sommes,
Avons-nous le moindre repos ?
Combien Je travaux et de peine
Pour quelques tranquilles moments !
La nuit pour nous arrive à peine,
Que le jour nous appelle aux champs ;
Et lorsque tout, dans la nature,
Des grands satisfait les désirs,
Que de maux notre espèce endure !
L'été, c'est la chaleur ; l'hiver, c'est la froidure :
Tout nous forge des déplaisirs.
Tandis qu'ainsi Colin maudit sa destinée,
Le soleil au couchant va clore la journée ;
Il se retire, en soupirant,
De ce séjour si séduisant,
Et s'en retourne à sa chaumière.
En cheminant encore, il plaignait sa misère,
Et revenait à son refrain :
Que c'est beau d'être Souverain !
Un bruit soudain se fait entendre.
Il voit galoper des courriers,
Et voltiger des cavaliers.
Colin, de s'informer aussitôt, et d'apprendre
Qu'un mouvement subit vient de changer l'État :
Que de conspirateurs une troupe hardie.
A détrôné le Potentat,
Et que dans la mêlée il a perdu la vie.
Oh ! dit Colin, ceci passe la raillerie ;
Je commence à trouver plus heureux mon destin.
Mieux vaut vivre Berger, que mourir Souverain.