Déjà reverdissaient les bois et les coteaux ;
De mes accents plaintifs j'attristais les échos :
Le printemps vient, disais-je, ah ! que ne suis-je encore
Prêtre de Pomone et de Flore !
Apollon, tout à coup, vint s'offrir à mes yeux :
« Sèche tes pleurs, dit-il, mon culte vaut bien mieux ;
Car Flore n'a qu'un temps, sa beauté l'abandonne
Quand l'hiver, tous les ans, vient flétrir sa couronne.
Il faut sur le Parnasse oser porter tes pas,
On y cueille des fleurs qui ne se fanent pas.
Pour La Fontaine on sait ta passion extrême ;
Eh bien ! il faut tâcher d'imiter ceux qu'on aime ;
Marche donc sur ses pas, suis le même chemin. »
« Y songez-vous, Seigneur, moi dont jamais la plume
N'a produit le moindre volume,
Et qui, depuis quinze ans, la serpette à la main,
Du matin jusqu'au soir, errant dans mon jardin...
<--Tant mieux, reprit le Dieu ; tant mieux, sur ma parole,
Car la nature est la meilleure école
Du fabuliste. Il faut étudier les mœurs
Des animaux, des arbres et des fleurs,
Avant d'oser leur prêter un langage.
Consacre-moi donc tes loisirs ;
Je ne te promets pas grande gloire en partage,
Mais de doux passe-temps, mais d'innocents plaisirs.
Je veux d'abord, pour toi me montrant favorable,
Par forme d'encouragement,
Te donner le sujet de ta première fable ;
Fable n'est pas le mot, l'histoire est véritable.
Ainsi donc attentivement
Écoute-moi ; tu verras comme
Nous nous servons aussi parfois des animaux
Pour instruire et corriger l'homme. »
Alors il poursuivit à peu près en ces mots :
« Un prince vertueux, d'humeur douce et facile,
Léon, unique fils de l'empereur Basile ',
Se vit jadis accuser faussement
De méditer un lâche parricide.
Aux rapports mensongers d'un ministre perfide
Son père crut trop aisément.
Les soupirs d'une sœur, les larmes d'une mère,
Rien ne put fléchir sa colère,
Et de son fils il résolut la mort.
Dans un obscur cachot, chargé de lourdes chaînes,
L'infortuné Léon attend son triste sort,
Comme le seul terme à ses peines.
Basile cependant, un jour,
Donnait aux seigneurs de sa cour
Un somptueux festin ; la danse et la musique
Embellissaient ce repas magnifique.
Bientôt un jeune page apporte un perroquet ;
C'était, dans son espèce, un oiseau de mérite,
Et, par son aimable caquet,
Il devait ajouter aux charmes du banquet.
Chacun l'interroge et l'excite,
Aucun de ses pareils ne saurait l'égaler,
Que l'on se taise, il va parler :
« Pauvre Léon, dit-il, que ton sort est à plaindre !
Les courtisans vainement veulent feindre,
Ces mots les glacent de terreur,
Et nul n'ose lever les yeux sur l'empereur.
L'oiseau reprend, d'un ton plus lamentable :
« Léon, Léon pourtant n'est point coupable.
Rien ne peut le contraindre à changer de propos.
Appartenant à la princesse,
Souvent, à travers des sanglots,
De la bouche de sa maîtresse
Il avait entendu ces mots.
L'empereur s'est troublé, sa colère est vaincue,
La voix du sang parle à son âme émue ;
Il fait venir son fils ; aux pieds de l'empereur
Léon s'explique enfin ; son innocence est claire ;
Bientôt il est dans les bras de son père,
Qui le presse contre son cœur.
Du ministre pervers on punit l'imposture,
Et de cette heureuse aventure
Un perroquet eut tout l'honneur. »
Apollon, à ces mots, s'éloigne. Il faut souscrire
Ason ordre divin, et si je prends la lyre,
Ce n'est pas sans trembler, hélas !
Mais il serait injuste, en conscience,
S'il me traitait comme le roi Midas,
Pour prix de mon obéissance.