L'Ours et le Paysan Ferdinand Canu (1790 - 1876)

Certain Ours, l'effroi du canton,
Et le plus ours de son espèce,
Un beau jour eut la maladresse
De cheoir dans un fossé profond,
Piège heureux dressé pour le prendre.
L'aubaine était bonne vraiment !
(Les méchants savent bien les tendre,
Mais dans ceux qu'on leur dresse ils tombent rarement.)
Il lui fallut livrer bataille,
Pour sortir de ce mauvais pas,
A mainte épine, à plus d'une broussaille ;
Ce n'était pas mince embarras.
À la fin, la hideuse bête
Fit tant des griffes, de la tête,
Que, grâce à son épais manteau,
Elle parvint à se tirer d'affaire,
Non pourtant sa peau tout entière ;
Force piqûre meurtrière
Avait dardé ses panes, son museau.
Comme Martin pleurait sur sa triste aventure,
Au bois la racontait par son rugissement,
Et qu'aussi sur chaque blessure
Il passait, repassait sa langue vainement,
Éprouvant à marcher un invincible obstacle,
Le hasard devers lui conduisît un manant.
L'Ours de le saluer alors fort poliment.
Un Ours poli, c'est un miracle :
Aussi, le madré paysan
Se méfiant de quelque leurre,
Loin de lui se lient coi respectueusement.
L'Ours donc, le saluant, lui dit :
« Mon ami, j'ai besoin de ton prompt ministère ;
A l'instant même une vipère
M'a percé de son dard maudit.
Tu peux soulager ma souffrance :
Viens m'arracher ce trait malin.
Si je reçois de toi ce bienfait souverain,
Compte sur ma reconnaissance ;
Je t'épargnerai, toi, les tiens,
Et saurai te garder, en prenant ta défense,
De mes confrères inhumains. »
« Je plains bien votre seigneurie,
Lui répond mon manant ; voyez la perfidie,
Peut-on surprendre ainsi les gens !
De ces animaux malfaisants
Le très-haut Jupiter devrait faire justice.
N'a-t-on pas vu depuis assez longtemps
Les bons pâtir pour les médians ?
Mais ne vous flattez pas que moi je vous guérisse ;
A ces soins-là je n'entends rien ;
Cherchez ailleurs un médecin,
Dont la main vous soit salutaire ;
Il en est tant sur cette terre !
Il doit en être aussi parmi, messieurs les Ours ;
Allez implorer leur secours.
D'ailleurs, le temps me presse ; on m'attend au village
Pour enlèver notre moisson.
Le temps menace, et ma Suzon
Me gronderait, s'il venait un orage :
Je ne veux point courir d'aussi fâcheux hasards ;
Adieu donc, monseigneur ; portez-vous mieux, je pars. »

Il est beau d'adoucir les peines,
Les souffrances de son prochain ;
Mais des médians briser les chaînes,
C'est en forger aux gens de bien.





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