Un ours, philosophe
De beaucoup d'étoffe
Et d'instruction,
Hasard ou caprice,
Était, par office,
L'ami d'un lion.
C'était son seul titre.
On le consultait,
Et ce sage arbitre
Sur tout dissertait
A fond. Parfois même
Il se permettait
La licence extrême
De blâmer le roi.
Voyons, dites-moi,
Était-il bien juste
Que vous, prince auguste,
Vous missiez à mort,
Pour punir un tort
Tout-à-fait minime,
Ce jeune taureau
Si fier et si beau ?
Oh ! ce fut un crime.
Il faut éviter
Qu'on puisse insulter
A votre mémoire ;
Car un jour l'histoire,
Sans trop se gêner,
Pourrait fort bien dire
Que votre diner
Causa le martyre
De plus d'un sujet
Dont vous auriez fait,
Sans qu'il fût coupable,
Un mets délectable.
Quoique le lion
Eût bon caractère.
À la fin ce ton
Le mit en colère.
Mais il se retint
Par délicatesse,
Et même il parvint,
Sans trop de rudesse,
A changer le cours
Des propos de l'ours.
Ami, dit le prince,
Cour, ville et province,
D'un commun élan,
Veulent que je nomme
Un grand chambellan.
J'y consens ; et, comme
Vous êtes, mon cher,
Ours d'un très bel air
Et plein de sagesse,
D'esprit, de finesse,
C'est vous que je fais
Le grand dignitaire
Dont il s'agit. Mais...
La tâche est légère.
Sans plus de discours,
On apporte à l'ours
La robe d'hermine
Que le roi destine
A sa dignité.
Il s'en pare, il
Avec majesté, pose
Et, sur toute chose,
La riche croix d'or
Vient donner l'essor
À la suffisance
Du grand officier,
Qu'on vit dès ce jour oublier
De crier.
La dignité venue, adieu l'indépendance !