Le Lion, le Renard et l'Ours Théodore Lorin (19è siècle)

Un vieux lion, surchargé d'ans,
Vaincu, privé de sa couronne,
Fuyait, en proie à des regrets cuisants.
Son rival, assis sur le trône,
Appela près de lui ses nombreux courtisans :
Ils accoururent pleins d'allégresse.
« Allons, dit-il, messieurs ; parlons avec candeur :
Que pensez-vous de mon prédécesseur ? »
« Sire, dit l'ours, je le confesse,
Je fus d'abord séduit par sa finesse,
Et je le crus, dans ma simplicité,
Protecteur de nos droits et de la liberté :
Aussi l'aimai-je avec tendresse.
Plus tard, hélas ! j'eus le chagrin de voir
Qu'assiégé de flatteurs, enivré du pouvair :
Et peut-être entraîné par un peu d'égoïsme,
Ses actes paraissaient viser au despotisme :
Dans mon antre, à part moi, j'en ai souvent gémi.
Enfin, il est tombé : je plains mon vieux ami ;
Mais à mon nouveau roi, toujours soumis, fidèle,
En temps et lieu je prouverai mon zèle. »
« Moi, cria le renard, on ne me vit jamais
La dupe de sa fourberie.
J'ai bien de lui reçu quelques bienfaits ;
Mais de l'aimer je n'eus point la folie.
Cet orgueilleux tyran, corrompu, corrupteur,
Des fonds publics déprédateur,
A notre beau pays n'a jamais su que nuire.
Seul, avec mes amis, en petit comité,
Par esprit de justice et de sincérité,
J'ai lancé contre lui mainte et mainte satire,
Et signalé son aveugle délire. »
« Mons du renard, interrompit le roi,
J'en suis bien convaincu, je puis compter sur toi,
Tant que j'aurai la fortune prospère ;
Mais si le sort me devenait contraire,
Compère l'ours, ami franc, noble cœur,
Me resterait fidèle au moment du malheur. »

Livre X, Fable 15




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