Certain cheval de noble race
Fut acheté par un roulier.
« Maudit soit, disait-il, le destin qui me place
Sous les lois d'un vil roturier,
Moi, dont les illustres ancêtres
N'ont jamais reconnu pour maîtres
Que des chevaliers ou des rois.
Et la poésie, et l'histoire
A l'envi chantaient leurs exploits :
Dans les combats, dans les tournois,
On les vit couronnés de gloire ;
Leurs maîtres leur durent cent fois
La plus éclatante victoire.
Enfin lorsque la paix, ramenant le repos,
Les forçait de quitter l'armée,
Dans les courses toujours devançant leurs rivaux,
Ils savaient conquérir et los et renommée.
Et moi, de ces coursiers malheureux descendant,
Mal nourri, mal soigné, chétif et languissant,
Sur une humble et sale litière,
Près d'un lourd cheval bas-normand,
Que bien souvent, hélas ! on me préfère,
Je végète dans la misère. »
« Orgueilleux et sot animal !
Dit son maitre irrité, de cette préférence
Ne t'en prends qu'à ton indolence.
Ce courageux et robuste cheval
Que méprise ton insolence,
Est docile, laborieux,
Et comme tel, est sans prix à mes yeux :
Tu te plains donc à tort qu'à toi je le préfère.
Que me font, entre nous, et ton glorieux père,
Et tous tes illustres aïeux,
Lorsque indolent, rétif, gourmand, capricieux,
Tu ne fais chaque jour qu'exciter ma colère ?
Pourquoi de ta disgrâce accuser le destin ?
Eh ! mon cher, si ton premier maître
T'a chassé de chez lui, c'est que toujours au frein
Ton caractère indocile et mutin
A refusé de se soumettre.
Quant à moi, tu ne m'es d'aucune utilité,
Et si je te nourris.c'est pure charité.
Laisse-moi donc en paix, et supporte en silence
Ton malheur par trop mérité :
A défaut d'autre qualité,
Montre au moins de la patience. »