« Quel est ce mors ? quelle est cette main téméraire
Qui sur mon noble cou prétend appesantir
Je ne sais quel lien ? Au gré de mon désir
Qu'on me laisse élancer ! » Frémissant de colère,
Hennissant, écumant, un cheval s'indignait,
Du pied faisait voler à l'entour la poussière,
Et secouait sa flottante crinière,
Pendant qu'à le dresser son maître s'attachait.
A son ami le chien il confiait sa peine :
« Mes illustres aïeux, pleins d'audace et de cœur,
Eussent-ils accepté cette honteuse chaîne
Lorsque en bondissant dans la plaine,
« D'une libre existence ils goûtaient la douceur ?
- J'admire ta fierté ; moi, pour l'indépendance
J'avais bien quelque goût aussi, lui dit le chien ;
J'obéis cependant, et je m'en trouve bien.
La liberté s'accorde avec l'obéissance,
Sans honte la fierté peut accepter des lois ;
Fais-en l'essai, si tu me crois. »
Le cheval suit l'avis de son ami fidèle,
Soumis d'abord, continue avec zèle,
D'un écuyer reçoit d'instructives leçons,
Conduit son maître en un lointain voyage,
Admire maintes régions,
Se fatigue et devient plus sage.
Le son du cor l'appelle au milieu des forêts ;
De la chasse il voit les apprêts,
De son ami le chien il partage la joie,
Il voit tomber, il transporte la proie.
Il prend son rang dans l'escadron ;
Le son belliqueux du clairon
L'introduit plein d'ardeur aux champs de la victoire,
Et son cœur goûte aussi quelque part de la gloire.
Un jour donc que le chien et lui
A travers champs se promenaient ensemble,
« Ami, dit le chien, il me semble
Que ton front maintenant respire moins d'ennui. »
«our moi, dit le cheval, il n'est plus d'esclavage ;
Mon maître est devenu le meilleur des amis ;
Je suis heureux d'être soumis
Et fier d'unir la sagesse au courage. »
Les passions sont le fougueux coursier,
La raison est leur écuyer.
D'une discipline sévère
Elles redoutent le pouvair ;
Le temps apprend combien ce frein est salutaire,
Et l'on devient heureux en aimant son devoir.