La Reine Élisabeth et le Chancelier Bacon Etienne Catalan (1792 - 1868)

L'âme du Sage s'agrandit
Au milieu des grandeurs ; mais son penchant y reste
Toujours simple, toujours modeste.
Si la naissance ou le crédit
L'appelle en un palais, c'est pour lui peu d'affaire,
Sauf, toutefois, le bien qu'il y peut faire ;
Ce n'est, à part cela, pour lui qu'un lieu d'exil.
- Pour que le Sage aime la vie,
Autant qu'on doit l'aimer, quels biens donc lui faut-il ?
Nul de ceux que poursuit une commune envie ;
Ils plaisent peu, vous dis- je, à son ambition...
Voyez, sur ce coteau, l'humble habitation,
Dont un arceau de pampre orne chaque fenêtre ;
A droite, un bosquet de lilas ;
A gauche, un banc sous le vieux hêtre ;
Enfin, ce clair ruisseau, qui, tous les trente pas,
Serpente et revient sur lui- même,
Pour féconder un frais gazon ;
En tout, moins d'un arpent ; la mer pour horizon :
Tel était l'asile suprême,
Que préférait le Chancelier Bacon
À tous les parcs royaux de la Grande- Bretagne.
On est si bien à la campagne,
Lorsqu'on y peut rêver ! Les pompes, les honneurs,
Vanité que ces faux bonheurs,
Au prix des biens que la Nature,
À qui sait en jouir, dispense sans mesure !
Aussi, dit-on que notre Chancelier,
Dès qu'il trouvait le loisir d'oublier
Les rudes travaux de sa charge,
Reprenant de rêveur le facile métier,
Dans son étroit Éden allait se mettre au large.
Élisabeth y vint, un jour,
Faire à son courtisan la cour :
Insigne honneur, qui le gênait peut-être !
Mais, loin d'en laisser rien paraître,
Il s'en tira de la façon
Que commandait le rang de Souveraine,
Et permettait l'état du lieu. La Reine
Lui demanda, cependant, la raison
D'un tel logis pour un tel hôte :
<« Excusez-moi, Madame, c'est la faute
De Votre Majesté, lui répondit Bacon :
Pourquoi m'a-t-elle fait trop grand pour ma maison ? »

Livre I, fable 13




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