La Reine-Abeille et le Frelon Louis de Valmalète (19 siècle)

Par un renversement des lois de la nature 7
Si l'on en croit un moderne Strabon,
Dans un pays qu'on nomme Estramadure,
On vit la Reine- Abeille épouser un Frelon.
De ses nouveaux États concevant peu la forme,
Le nouveau Roi voulut adopter la réforme :
» Ma Reine, de vos lois, j'ai honte en vérité ;
Sur le siècle, dit-il, vous êtes en arrière :
Quoi ! sur le même objet la même activité,
Et dans mêmes travaux même uniformité !
De ces travaux j'entends agrandir la carrière ;
Des préjugés, allons, franchissez la barrière ;
Un nouveau plan par nous est arrêté,
Qui doublera, dans peu, votre prospérité.
De la routine ainsi gardant toujours l'ornière,
Pourquoi du siècle avoir refusé la lumière ?
Nous sommes les filles du Ciel,
Répond l'Abeille, et lui seul nous inspire ;
Le Ciel seul nous apprit à faire notre miel,
Lui seul dicta les lois de mon empire ;
Par elles, m'a-t-on dit, il doit être éternel :
C'est en suivant ces lois, transmises par ma mère,
Que mon gouvernement ne s'est point altéré ;
Chacun ne fait ici que ce qu'a fait son père,
Et mes États ont prospéré.
Ils vont prospérer davantage
Par les projets dont je suis animé,
Dit le Frelon. Le plan que j'ai formé,
De nos enfants va doubler l'héritage. »
La Reine cède : elle s'en repentit.
Le Frelon fit, soudain, publier un édit
Par lequel ses sujets eussent à comparaître :
On obéit. D'après le plan qu'il fit connaître,
Bientôt chaque cellule a de nouvelles lois.
Il crée, il ôte les emplois,
Il bouleverse tous les droits,
À la ruche, en un mot, il donne un nouvel être,
Tel fut bientôt l'effet des réglements nouveaux,
Que de la ruche on vit cesser tous les travaux,
Ce n'est pas tout en proie à l'anarchie,
Cette petite monarchie
Offre partout le trouble et la confusion :
Chacun veut être chef ; et la rebellion,
Sur tous les points exerçant ses ravages,
Fit des filles du Ciel un peuple de sauvages.
De l'œuvre du Frelon tel fut l'horrible fruit :
L'Abeille, le Frelon, la ruche, tout périt.

Ainsi l'on voit courir à sa perte certaine
Tout peuple qui, du Ciel méconnaissant la voix,
Aux nouveautés dont le charme l'entraîne,
Ose sacrifier ses coutumes, ses loix.
Dieu donne aux animaux l'instinct pour les conduire ;
Il a fait plus pour nous : sa voix nous a parlé :
Lui-même, pour mieux nous instruire,
Lui-même, il nous a révélé
Cette charte immortelle
Que la Religion sans cesse offre à nos yeux :
Oui, l'homme, à cette loi fidèle,
N'aurait besoin, pour être heureux,
Ni de code ni d'ordonnance.
Là, dans tous les instants, nous lisons nos devoirs,
Et de la terre les pouvairs
Sur nous ont bien moins de puissance
Qu'elle n'en a sur notre conscience :
Tout peuple qui la suit, croyons-en Fénélon,
Fleurira d'année en année :
Tout peuple qui l'enfreint aura la destinée
Et de l'Abeille et du Frelon.

Livre II, Fable 4




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