O Point d'honneur, impérieux tyran,
Toi, pour qui nos respects vont jusqu'à la folie,
Dis-nous quel est ce talisman,
Dont l'irrésistible magie
Fait que, sans cesse, au pied de tes autels,
On voit tant d'aveugles mortels
T'apporter en tribut , sans nul regret, leur vie ?
Enfant du préjugé français,
Source de vertus et de crimes,
Faut-il exalter tes hauts faits ?
Devons-nous compter tes victimes ?
Ah ! si, jusqu'à ce jour, l'empire de tes lois,
Bravant l'autorité des Rois,
Se joua des décrets du Ciel et de la terre,
Peux-tu nous consoler, par tes rares exploits,
De tout le mal que tu te plais à faire ?
Oui, l'on t'a vu, plus d'une fois,
Pour soutenir de respectables droits ,
Susciter tout à coup à l'orphelin un père,
A la veuve un vengeur ; mais, que ta lâche voix,
Sur quelque offense imaginaire,
Du cœur de deux mortels bannissant la pitié ,
Contre l'amitié même ose armer l'amitié,
Voilà de ces forfaits, dont on ne voit sans doute
Que trop d'exemples ici-bas :
Fatal honneur, en pareil cas,
Malheur à celui qui t'écoute !
Le Destin sème notre route
De tant de chances de trépas !
Sachons les supporter, ne les provoquons pas.
Une belle mort a des charmes !
Cours donc , pour la patrie , à de nobles combats ! ...
Mais, un Duel, ce n'est qu'une aveugle furie,
Un goût subit de meurtre, un accès de tuerie,
Un vertige de sang : témoin ces deux Soldats,
Qui, valeureux compagnons d'armes ,
Cherchant mêmes hasards, cueillant mêmes lauriers,
S'étaient toujours aimés d'une amitié de frères...
Nous autres Citadins, nous ne nous doutons guères
De cet amour des camps... Nos deux francs Grenadiers
Se promenant un soir, gaiement, de compagnie,
Sur un rempart : Que n'ai-je une prairie
Grande comme le ciel ! dit l'un. -Moi, des moutons,
Tout autant que là-haut d'étoiles nous voyons ! —
Eh ! qu'en ferais-tu, je te prie ?
Ils iraient paître dans ton pré ;
Je les y mènerais . Toi ? - Moi. Non ; sur ma vie,
Je te le défends bien. - Oui-da ! bon gré, mal gré,
J'en veux passer ma fantaisie.-
C'est ce qu'il faudra voir . C'est ce que tu verras ;
Et mon sabre ! Ton sabre ?
Comme de tes moutons...
Oui. Va, je m'en souci
Là- dessus, habit bas,
Flamberge au vent, et de livrer bataille :
Voilà nos Champions qui, d'estoc et de taille,
Frappent pour attaquer ou pour défendre un bien,
Qu'on n'aurait pu, je crois, même en le cherchant bien,
Trouver au pays des chimères.
Hé quoi ! de vieux amis ! insensés ! téméraires ! ... -
Infortunés plutôt ; car, ces fiers combattants,
Cruellement servis par leur expérience,
De deux perfides coups portés en même temps,
Ayant plus qu'à souhait assouvi leur vengeance,
S'en vont tous deux, sans bruit, au royaume des morts,
D'une éternelle paix cimenter les accords ! ...
Mais, tracés, ô mon Dieu, par des mains fratricides,
Les ratifiez-vous ces accords homicides ?...
Ah! s'ils sauvaient, du moins, l'âme, en brisant le corps ! ...