Montaigne, - excusez-le, Mesdames, -
Montaigne dit, qu'il n'est de bonnes femmes
A douzaines, et, notamment,
Aux saints devoirs du mariage :
Montaigne se trompait de sexe, évidemment.
Lorsqu'ainsi parlait notre Sage, -
Et quel esprit ne tombe en ces confusions ? -
C'était, pour qui le saura lire,
Et le pourra juger sur ses intentions,
Oui, c'était « il n'est d'hommes bons
A douzaines », que bien ce Sage voulait dire.
Mais, j'en appelle encore, et tiens tous les paris,
Qu'il n'est pas un de mes amis,
Qui ne soit, homme ou femme, une digne personne :
Quelqu'un en veut-il être, à ce compte ? Ma foi,
Sans trop de vanité, je crois
Que, pour peu qu'il ait l'âme bonne,
J'en aurai bientôt fait un Saint de notre aloi,
Saint pour le monde, et Saint pour son ménage,
Saint, en un mot, de tout terrestre emploi ;
Dieu fera le surplus. Venons au mariage,
Je m'y connais de reste, et c'est mon côté fort :
Pour vous dire d'où vient, apprenez que le Sort
Vous ferait un bon lot, si qu'un jour il avienne,
Que receviez de lui femme comme la mienne ;
Et, je lui devais bien cet hommage, en passant.
Or, ne craignez de moi, que, pour ce qui la touche,
Je vous en donne mieux qu'une légère touche ;
Il y faut prendre même un ton fort caressant ;
Car, la Dame est un peu farouche,
Mais, farouche, entendons-nous bien,
En ce sens, que la modestie,
Qui se reflète en son maintien,
Habite en son esprit. Donc, qu'en face on lui die
Tout au juste ce qu'elle vaut,
Si que ce soit un peu bien haut,
Nous la verrions quitter aussitôt la partie.
Laissez-moi faire, vous saurez
Quelle loi deux époux, l'un pour l'autre sacrés,
Doivent insérer dans leur code.
D'elle je tiens cette méthode,
Que je vais vous dire tout bas :
La Dame deviendra, ce crois-je, plus traitable,
Lorsqu'elle ne m'entendra pas.
Cette méthode inestimable,
Ce code, dis-je, incomparable,
N'a, pour forme et teneur, qu'un mot : Concessions !
Pratiquez bien cela : plus de discussions,
Partant, plus de troubles possibles ;
Partant, la paix toujours ! Vous vous habituerez
À lire, dans vos cœurs, l'un pour l'autre accessibles,
Leurs moindres vœux, et vous honorerez
D'y satisfaire, en tant qu'ils seront raisonnables ;
Et, je dis plus, jamais vous n'en ferez
Que de ceux-là qui soient réalisables.
C'est l'exemple que me donna
L'Ange du ciel, qu'en le voyant on aime,
L'Ange rêvé, qu'en sa bonté suprême,
Dieu, de tout temps, prédestina
Pour l'heur et pour l'honneur de toute notre vie !
Dès le premier conflit, cet Ange me céda ;
Un certain amour- propre aussitôt m'amenda,
Et, de céder, à mon tour, j'eus l'envie :
Bien m'en prit, car ce fut, dès lors et pour toujours,
Entre nous une pure et suave harmonie,
Qui, de notre union bénie,
Depuis trente ans et plus, règle et charme le cours.
Voilà tout le secret du bonheur en ménage ;
La fin qu'on s'y doit proposer,
C'est, dit, mieux à ce coup, Montaigne, ce vrai Sage,
Non de se marier, mais bien de s'épouser.
Et, que ne dois-je pas à la douce compagne,
Qui, suivant cette loi, me la fit tant priser !
C'est vraiment là jouer au jeu de « Qui perd, gagne » ;
Celle qui me l'apprit, en aura, cette fois,
Tout l'honneur... On dira qu'il est par trop bourgeois
De faire politesse, en public, à sa femme :
Qu'importe ?... Écoutez-moi, Madame ;
Car, c'est à vous que je vais raconter
Un fait, qui doit accréditer
La valeur de votre doctrine :
Puisse, non l'œuvre, ma divine,
Mais bien l'intention, vous faire apprécier
Tout l'amour que pour vous prosesse l'ouvrier !
Jean était amoureux de Jeanne,
Et Jeanne était amoureuse de Jean :
Leur amour à la paysanne,
Ainsi que le feu d'un volcan,
Se traduisait, chaque jour, en tonnerres
De coups de pied, de coups de poing,
Gages qui, ne leur coûtant guères,
Ou donnés, ou rendus, venaient toujours à point.
Ce sont là, pour ces gens, nos vers, nos sérénades,
Nos vœux et nos respects, qui leur sembleraient fades ;
Et, tout bien vu, les leurs ne me souriraient point :
Car, n'est-ce pas le cas de dire,
Que l'amour, ici- bas, n'est, souvent, qu'un martyre ?
Mais, tant battant que battu, vint le temps,
Où le plus saint des sacrements
Allait, en calmant ce délire,
Initier le couple aux extases du Ciel,
Du Ciel de Mahomet... Je passe sous silence
La messe et le sermon, le festin et la danse :
Bref, entrons, avec eux, dans la lune de miel...
Ils s'étaient mis au lit ; Jean se tourne vers Jeanne :
Mon Dieu ! dit-il, d'abord, à la Sultane,
En se prenant à l'étrenner
D'un gros baiser, qui la fait pâmer d'aise,
Que nous avons mangé d'un bon merle, au dîner !
A quoi Jeanne repart : Mon Dieu ! ne vous déplaise,
C'était une merlesse, aussi vrai que je sui
Votre femme. Alors, Jean de reprendre : Ha bien, oui !
Voulez-vous plaisanter, mignonne ?
Merle, et beau merle était : vous nous la donnez bonne,
Avec votre merlesse !... Et, vous n'eussiez ouï,
Dès là, rien que ces mots : Un merle !... Une merlesse ! …..
Une merlesse !... Un merle !... et sans fin, et sans cesse.
Or, de l'entêtement, on en vint au courroux,
Puis, du courroux, incontinent aux coups,
Mais, aux coups sérieux ; fruit de l'apprentissage
Qu'Hymen tenait d'Amour : Oh ! l'Amour du village !
Si ce doit être là le fruit de ses leçons,
Nous en garde le Ciel, voire dans les chansons !...
Enfin, on s'apaisa, s'embrassa ; puis, l'année
S'écoula, zist et zest, à demi fortunée.
Mais, un soir, que, l'an révolu,
Ils étaient près du feu, sans bien ni mal voulu,
Jeanne de s'aviser de dire :
Vous en souvient-il, Monsieur Jean ?
Voilà, je crois, tout juste un an,
Que, mariés en joie, un rien nous mit en ire,
Un rien, dont, aujourd'hui, nous ne ferions que rire,
Et, pour moi, d'avance j'en ris ;
Un rien, dis-je : vous aviez pris
Une bonne et grosse merlesse
Pour un merle !... Ah ! oui-da, traîtresse,
Riposte Jean, tu n'en démordras pas !
C'était un merle, un merle, un merle, misérable !
Si tu dis encor non, Madame Jeanne, hélas !
Vous mentez autant que le Diable !
C'était une merlesse, entends-tu, Monsieur Jean ?
Et, c'est vous qui mentez deux fois plus que Satan !
Puis, là- dessus, voici que, de plus belle,
Les pauvres gens en reviennent aux coups !...
C'en est fait, ils vivront, ils mourront en querelle :
Triste sort !... Et, pourtant, c'est là ce qu'on appelle,
Chez les Français, les Turcs, les Hurons, les Indous,
Sous toute latitude, ô honte universelle ! -
Ce qu'on appelle des époux !
Époux !... Non, non ; moi, j'en atteste celle,
Dont, tout à l'heure, nous parlions ;
Ne l'entendez-vous pas nous dire avec le Sage :
Concessions ! Concessions !
Voilà, songez-y bien, la loi du mariage !