Après une cruelle et longue maladie,
Messire Jean qui n'avait, de sa vie,
Connu repos, ni plaisir, ni bonheur,
Fut heureux un moment par un songe trompeur.
Oubliant à la fois sa goutte, sa vieillesse,
Et son régime, et sa faiblesse,
Il s'imaginait être encore à son printemps,
Et se trouvait dispos et frais, comme à vingt ans.
Il se croyait sur un lointain rivage,
Où régnaient les vertus, l'innocence et la paix ;
Ses heureux habitants, sans soins et sans procès,
De l'or et de l'argent ignorant tous l'usage,
Retraçaient à ses yeux les mœurs du premier âge,
De cet âge où l'Amour osait aller tout nu,
Trop heureux âge d'or, où l'or fut inconnu.
Point de maris jaloux ; point de beautés cruelles ;
Point d'amans indiscrets, et très- peu d'infidèles ;
Un ciel toujours serein ; des prés toujours fleuris ;
Des jeunes gens modestes et polis ;
Des vieillards sans humeur ; de fidèles amis ;
Point de méchant auteur, de moine, de notaire.
Bon Dieu ! qu'avec plaisir je quitterais Paris,
Si ce pays charmant existait sur la terre !
Messire Jean partout bien reçu, bien fêté,
Nageant dans les plaisirs, sans crainte et sans tristesse,
Rendant grâces aux dieux d'être si bien traité,
Était plongé dans la plus douce ivresse ;
Quand, par malheur, un lourdaut de valet
(De ces gens rarement l'esprit est le partage),
L'entendant s'agiter, pensa qu'il s'occupait
De quelqu'objet fâcheux, de quelque triste image.
Pour s'en mieux assurer, il apporte un flambeau ;
Et croyant faire une œuvre charitable,
Sur le lit du dormeur porte une main coupable,
Et détruit son bonheur, en ouvrant le rideau.
Ceci s'adresse à vous, fausse philosophie,
De l'art d'approfondir dangereuse manie ;
Vous qui, détruisant tout, sans jamais rien créer,
Nous plongez dans la nuit, croyant nous en tirer.
De grâce, laissez-moi mes erreurs mensongères,
Et mes illusions, et ces vapeurs légères,
Qui cachent à mes yeux le vide et le malheur.
Que je me trompe ou non, respectez ma chimère.
J'aime à croire à l'amour, aux vertus, à l'honneur.
Eloignez de mes yeux cette triste lumière,
En voulant m'éclairer, vous déchirez mon cœur.
Conte