Un âne, un certain jour, dormait profondément ;
La preuve de ce fait n'est pas très-nécessaire ;
Chacun sait qu'un baudet se plaît à ne rien faire,
Et qu'au sommeil il se livre aisément.
Mais cet âne faisait un songe :
Il lui semblait que les dieux bienfaisans
Avaient, de tout son corps, changé les éléments,
Et qu'homme devenu (ce n'est point un mensonge),
Il en avait acquis les goûts et les penchans.
En effet, aussitôt dans l'ardeur qui l'anime,
Des ânes il devint persécuteur ardent,
Et sans se rappeler qu'il fut une victime,
Il les frappe et maltraite impitoyablement.
« Canaille, disait-il, race indocile et dure
Vils animaux, rebut de la nature,
Que vous méritez bien votre sort rigoureux,
Et que l'homme est vraiment à plaindre et malheureux
D'avoir auprès de lui si laide créature. »
Mais, tandis qu'en rêvant, messire Aliboron
Raisonne avec tant d'impudence,
Auprès de lui l'ânier s'avance,
Et l'éveille en sursaut à grands coups de bâton.
Sans aller bien longtemps en quête,
On peut trouver des ânes à deux pieds,
Simples bourgeois, docteurs ou licenciés,
Pour qui ma fable semble faite.