La Reine et le Pion Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Sur quatre lignes, des échecs
Etaient rangés en ordre de bataille :
La même ardeur animait les sujets ;
Déjà l'on se battait et d'estoc et de taille.
Un des Pions par la Reine alors fut insulté ;
Il s'opposait à son passage,
Dans un projet par elle assez mal concerté :
Mais il fut prudent et fort sage.
« J'attendais, lui dit-il, de votre majesté,
Avec raison, plus de justice.
Je vous défends de ce côté :
En bon soldat, je m'offre en sacrifice
Pour maintenir votre splendeur,
Et je demande au ciel qui connaît l'innocence
De me venger de votre injuste humeur,
En déployant pour vous aujourd'hui malveillance. »
La Reine mille fois s'expose imprudemment ;
On l'environne enfin : la voilà prisonnière.
C'est ici le moment
Où le Pion veut se montrer nécessaire.
Il s'avance insensiblement :
Un cavalier, les tours et le fou-blanc l'escortent,
Et tous ensemble au courage l'exhortent ;
Bientôt à dame il paraît triomphant.
De rétablir la Reine sur son trône,
Il a le droit ; il lui rend ses Etats,
Et noblement au milieu des soldats,
Sur sa tête lui-même il place la couronne.

Monarques, estimez jusqu'aux moindres sujets,
Sur qui s'étend votre puissance ;
Ils ont des droits à vos bienfaits ;
Le courage toujours ne suit pas la naissance.

Livre IV, fable 15




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