La Leçon de délicatesse Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Mettant à profit la détresse
D'un être malheureux par la faim tourmenté,
Certain adolescent en avait acheté,
Un diamant d'une assez belle espèce ,
Qu'il vendait par nécessité.
De le mettre à son doigt le jeune homme s'empresse ;
Son père en veut savoir le prix.
L'aveu fait, aussitôt le fils
Lit son arrêt sur son visage.
« Vous n'avez point mis en usage
Les sentiments que vous dicte l'honneur,
Lui dit- il , ce que l'on achète
Trop au-dessous de sa valeur,
(Je vous l'ai déjà dit, et je vous le répète),
Ne peut honorer l'acquéreur.
Si ce mortel n'est pas le vrai propriétaire
De ce bijou , devez-vous le porter ?
Et s'il rampe dans la misère ,
Mon fils, mon tendre fils, peut-il en profiter ? »
Cette leçon fut un trait de lumière,
Qui pénétra jusqu'au fond de son cœur.
Le fils, à la vertu, rendit pour son bonheur
L'hommage qu'on ne lui rend guère
Il chercha le vendeur, puis il doubla le prix
Du brillant qu'il avait acquis,
En souscrivant des mandats pris
Sur ses menus-plaisirs . Suivons ici le père.
En soldant, sans remise , une dette si chère,
Les pleurs du sentiment se pressent dans ses yeux,
Et donnent à sa voix une aimable mollesse.
Il regarde son fils dont il est orgueilleux :
Du noir chagrin il passe à l'allégresse ;
Et contre son sein le pressant :
« Oui, lui dit-il, en l'embrassant ;
Cette action, pour toi, redouble ma tendresse ! »

Le premier pas qui compromet l'honneur
Peut bien n'être qu'une faiblesse :
Mais le second dénote un mauvais cœur
Et vient toujours de la bassesse.

Livre IV, fable 14




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