La Loi et le Décret Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Ne vous abusez point, vous n'êtes pas mon frère,
Disait un jour à tel Décret
Une Loi sage qui trouvait
Qu'à la raison il paraissait contraire.
Examinez entre nous deux
Et sans prévention, quelle est la différence.
Je suis un résultat heureux
Des sûrs calculs de la prudence
Qui me garantit de l'erreur.
Constamment l'équité préside à ma naissance.
Je maintiens l'ordre et conduis au bonheur
Tous les humains égaux en ma présence.
Vous ne pouvez vous comparer à moi,
Bien qu'on trouve entre nous un peu de ressemblance.
Ah! quand vous usurpez le beau titre de loi,
Vous n'êtes, tout au plus, que loi de circonstance..
Pour vous faire passer, un habile orateur
Met en jeu les ressorts de la mâle éloquence :
On aime tout en moi, jusques à la rigueur,
Le trouble naît de mon absence.
Du faible je deviens l'appui :
Sentinelle, en tout temps je veille à son bien-être.
Vous n'étiez pas hier, vous brillez aujourd'hui :
Moi, c'est avec lenteur que l'on me voit paraître.
Bien rarement de la majorité
Vous êtes le produit, et par fois la cabale
Vous a fait adopter, à peine discuté :
Moi, jusqu'en ma sévérité,
J'ai l'opinion générale.
Fixons enfin, fixons irrévocablement,
Le vrai sens dans lequel je dois être saisie.
Pour m'expliquer bien clairement,
Recourons à l'allégorie.
Non, nous ne sommes point égaux.
Comme arbre protecteur, je plais à tout le monde,
Et les décrets n'en sont que des rameaux,
Que le législateur de tems en temps émonde.
Ne vous alarmez pas pourtant :
Loin d'affaiblir votre puissance,
Je déclare qu'aveuglément
Chacun vous doit l'obéissance.
Le Décret alors sentit bien
Que la Loi pouvait le confondre,
Aussi ne répliqua-t-il rien :
Eh ! qu'aurait-il pu lui répondre ?

Livre IV, fable 13




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