LE Calife Almalek, Conquérant plein d'orgueil,
Du Sultan Amurat avait défait l'armée :
Ivre de ses succès et de sa renommée,
Il portait en tous lieux le ravage et le deuil ;
Et sous une vaine fumée,
Les volages destins lui cachaient son écueil.
Au Palais du vaincu, fièrement il s'avance,
Accompagné de Captifs dans les pleurs,
De soldats et de chefs et surtout de flatteurs :
Ce Mortel teint de sang est un Dieu qu'on encense.
Un vieux Mage, courbé sous le fardeau des ans,
Qui d'Amurat avait guidé l'enfance,
Parmi ces lâches courtisans
Gardait le plus morne silence ;
Et ses yeux cavés par le tems,
D'Almalek entouré de fourbes caressants,
Avec pitié contemplaient l'insolence.
Le Tyran l'aperçoit et las de sa constance :
Mon triomphe, dit-il, semble peu l'émouvoir :
Toi, dont on m'a vanté la longue expérience,
Comment n'as-tu pas su prévoir,
Que ton maître aujourd'hui seroit en nia puissance ?
Regarde ; le reconnois-tu ?...
(Au même instant, on apporte sa tête.)
Oui, répond le vieillard, sans paraître abattu ;
Et cet aspect m'apprend ce que vaut ta conquête.
J'ai vu dans ce Palais tour-à-tour apporter
La tête de Sélim à son vainqueur Korame,
Celle de ce Vainqueur au Sultan Abdérame,
Que rien dans ses projets ne semblait arrêter ;
Celle enfin d'Abdérame, ici, sous ce dais même,
Amurat immolé par ton ordre suprême,
Toute sanglante encor, se l'est fait présenter.
A ces mots foudroyants, que son cœur interprète,
Le Calife pâlit et le Mage se tait :
Almalek pénétré d'une terreur secrète,
Par des plaisirs trompeurs vainement sen distrait :
Le front chargé d'ennuis, l'oeil farouche, inquiet,
Il erre tristement dans sa vaste retraite :
Croyant du sort anéantir l'arrêt,
Il fit expirer le Prophète :
Mais la prédiction n'eut pas moins son effet.