L'Édile et le Marchand Etienne Catalan (1792 - 1868)

Certain Marchand d'une petite ville,
A l'amende venait de se voir condamner ;
Or, le voilà qui se rend chez l'Édile,
Et, par telles raisons, tâche de l'amener
A lui remettre son amende.
Mais, le Juge, trouvant mauvaises ses raisons :
Ton fait n'est pas, dit-il , de ceux- là qu'on émende;
Tu peux aller au Diable avec tes oraisons !...-
Mon Dieu ! fut-il jamais juge à ce point sauvage ! ...—
Le Suppliant, loin de perdre courage,
Veut insister ; hélas ! il le met hors de soi
Tant et si bien, que, pâle de colère,
Le Magistrat vous lui saisit, ma foi,
Sa perruque, et la jette à terre !
Notre Bourgeois, alors, tout en la ramassant,
Lance au Juge un regard où perce la menace ;
Puis, sans tarder le moins, il vous lui dit en face :
De çà vingt ans, Monsieur, tenez-le pour constant,
Vous ne m'en eussiez fait autant !
Et, pourquoi ne t'aurais -je, en ce beau temps, mon drôle ,
Traité de la façon ? Dis-le-moi, je le veux ! -
Pourquoi ?... C'est qu'en ce temps, Monsieur, sur ma parole,
J'avais encore mes cheveux ! ...

À ce trait, l'Édile s’amende,
Car, il avait perdu colère et gravité ;
Bref, il tient au Marchand compte de sa gaîté,
En lui remettant son amende.
Quand nous n'arriverions à tirer d'un bon mot,
D'autre fruit que le gain d'une méchante cause,
N'en déplaise au bon sens, je tiendrais à ma glose :
Le bel esprit est parfois un bon lot.

Livre I, fable 11




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