Un négociant, possesseur d'une grande quantité de marchandises, se rendait à une ville pour les vendre. A son arrivée, il loua un logement et s'y installa. Des brigands, qui demeuraient dans cette ville et qui ne reculaient devant aucun vol, l'aperçurent, et se dirigeant vers la demeure du marchand, tentèrent de s'introduire auprès de lui, mais leurs efforts furent inutiles. Cela les fatigua. Alors leur chef, qui était le plus fin d'entre eux, leur dit :
« Je me charge pour vous d'expédier son affaire. » Il alla donc s'affubler du costume dos médecins, et plaçant dans sa manche une fiole et une boîte remplie de médicaments, il se mit à crier : « Qui est-ce. qui désire un médecin ? » S'avançant jusqu'à la demeure du marchand, il entra chez lui et le vit à table.
« Désirez-vous un médecin ? » lui dit-il.
— « Je n'ai que faire de médecin, repartit celui-ci, mais asseyez- vous et mangez un morceau, si vous voulez. »
Le voleur ne se fit pas prier davantage. Or, le marchand était grand mangeur. « Voilà une belle occasion ! » pensa en lui-même le voleur, puis il dit au marchand :
« Je suis nécessairement votre obligé, puisque nous avons goûté le sel ensemble, et je ne dois pas différer plus longtemps de vous faire connaître une recette qui m'est particulière. Je vois en vous un homme de grand appétit, cela ne peut que nuire à votre estomac, et si vous ne vous ménagez pas, vous périrez bientôt. »
— Comment se peut-il qu'une forte nourriture nuise à mon estomac ? répond dit le marchand. Je digère bien mes aliments, je ne vois pas que mon ventre en soit plus gros, et, grâce à Dieu, cela me profite. »
Le voleur lui dit : a Avant que le mal ne se déclare, il faut vous purger.»
— Et qui me purgera ? »
— « Moi-même, assurément. »
— « Eh bien ! soit, » dit le marchand.
Alors, le faux docteur lui donna une médecine contenant beaucoup d'aloès et lui dit : « Prenez ceci et buvez-le cette nuit. »
Le marchand reçut le breuvage et, quand vint la nuit, il l'avala. Bien qu'il sentît l'amertume de l'aloès et l'odeur désagréable de la médecine, il n'en perdit pas une seule goutte ; cela le lit aller à la selle et il se trouva soulagé. La nuit suivante, le voleur lui apporta une nouvelle médecine plus amère et plus détestable que la première ; le marchand continua d'en éprouver les effets, mais il ne montra ni moins de patience ni plus de dégoût. Le voleur, voyant que le marchand avait confiance en lui, qu'il acceptait et buvait ce qui lui était offert, s'en alla et rapporta un breuvage mortel qu'il lui présenta. Le marchand.le prit et l'avala aussitôt sans répugnance et ne cessa toute la nuit d'aller à la selle, à tel point qu'il rendit complètement ses intestins. Le lendemain matin, c'en était fait de lui. Le voleur et ses compagnons survinrent alors et s'emparèrent de ses bagages ainsi que de tout ce qu'il possédait.