Se trouvant un jour en argent,
Pour lui chose extraordinaire,
Un pauvre auteur s'en fut chez un marchand
Faire l'achat d'un habit nécessaire.
Aujourd'hui, lui dit-il, on ne fait rien de bon ;
Un fabriquant est un fripon
Qui sans scrupule nous abuse ;
En moins de rien un habit s'use.
Peut-on mettre en comparaison
Le tissu solide et durable
Que l'on fabriquait autrefois,
Avec l'étofse détestable
Qu'on nous vend de nos jours ? Je puis dire, je crois,
Que tous vos draps ne valent pas le diable.
Entre vous et le fabriquant,
Lui répondit l'adroit marchand,
Il est assez de ressemblance.
Les auteurs d'autrefois travaillaient beaucoup mieux ;
Leurs écrits étaient bons et pleins de consistance ;
On n'est plus si profond que l'étaient nos aïeux ;
Et vos ouvrages éphémères,
Ainsi que les habits, Messieurs, ne durent guères.
C'était à bout portant blesser la vanité.
Le pauvre auteur, frappé de cette vérité,
Fit couper sur le champ son habit et sa veste,
Et sortit tout confus, sans demander son reste.
Celui qui veut sur le compte d'autrui
Donner carrière à la critique,
Doit d'abord s'assurer si, par rapport à lui,
On ne trouvera pas sujet à la réplique.