L'Auteur et la Mort Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Certain Auteur faisait gémir la presse,
Mais était loin d'y trouver son profit.
(On sait qu'en son ivresse
La multitude sans esprit,
S'en tient bien souvent par paresse,
À la décision d'un pesant érudit.)
Las de très-peu gagner et de beaucoup écrire,
Cet estimable Auteur, favori d'Apollon,
Se proposait de ne plus rien produire
Et de déserter l'Hélicon.
La Mort qu'il invoquait, mais qu'il n'attendait guère,
A ses yeux apparut, et lui tint ce discours :
« De stupides censeurs te déclarent la guerre,
Eh bien ! au froid mépris, il faut avoir recours !
C'est lorsque de ma faux tranchante
J'aurai coupé la trame de tes jours,
Qu'on trouvera ta muse intéressante ;
En attendant, si la célébrité
A pour toi quelques charmes,
Plus fier, reprend les armes
Et brigue l'immortalité. »
Elle dit : aussitôt elle échappe à sa vue.
L'Auteur laborieux fit les plus grands progrès,
Et sa muse ingénue
Gagna beaucoup à son décès.

De l'humanité qui s'éclaire
Tel est hélas ! le triste sort,
Qu'il faut en effet être mort
Pour être estimé sur la terre.

Livre II, fable 12




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