La Serinette et le Violon Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Une élégante Serinette,
Orgueilleuse de ses accents,
Était auprès du roi des instruments,
Et, quoique sa sujette,
Elle lui disputait
L'honneur de la prééminence.
Avec raison l'autre la plaisantait,
Etonné de sa suffisance.
« Eh ! d'où vient votre vanité ?
Lui disait-il : « qu'avez-vous en partage
Si l'on vous ôte un éclat emprunté ?
Le plus monotone ramage
Dont on est bientôt rebuté ;
Tuyau, cylindre, manivelle,
Soufflet qui vous donne le vent ;
Et tout cela, pourquoi, la belle ?
Pour produire un jeu d'un moment.
Sous la main la plus ignorante
(Et ce point est très-important)
On sait que vous brillez autant
Que sous la main la plus savante.
Moi je n'eus jamais d'ornements,
Et je suis simple en ma structure.
Sous des doigts novicesjejure,
J'enchante sous des doigts savans.
J'exprime tour-à-tour la joie et la tristesse,
Mes accens sont harmonieux ;
J'ai fait pleurer les plus beaux yeux
Par mes accords divins et ma délicatesse ;
Mais sur ma réputation
Discourirplus long-tems n'est pasfort nécessaire.
Consultez chaque nation,
Et vous verrez si j'exagère. »
Du triomphe, en effet, il était bien certain :
Mais, par malheur, on vint chercherla Serinette
Pour instruire un jeune serin ;
Alors elle partit avec un air hautain,
Qui de l'autre semblait annoncer la défaite.

Vanité nous aveugle tous :
Pour s'en défendre, on est rarement assez sage ;
Et les plus bornés parmi nous
Sont toujours ceux qu'on voit se priser davantage.

Livre II, fable 13




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