Thémis et le Juge Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Avant d'avoir acquis la preuve incontestable
Qu'un homme, en prison détenu,
Était réellement coupable,
Un Juge l'insultait comme étant convaincu.
On eût dit à son ton, à sa secrète joie,
Que, mu par le ressentiment,
Il avait désigné sa proie,
Et jouissait déjà de son futur tourment.
Entre ses mains Thémis regardait sa balance
Que cet homme déshonorait ;
La déesse rompit en ces mots le silence :
« Un Juge doit porter dans le fond de son cœur
Le deuil du malheureux qu'il ne saurait soustraire
Au sort dont il voudrait adoucir la rigueur;
Il a toujours des entrailles de père ;
Et loin de montrer constamment
Un air et farouche et sévère,
Il regarde comme innocent
Celui qui n'est encor que présumé coupable.
Eh ! quelle erreur te rend plus prévenu que moi ?
Un bon Juge n'a pas un dehors redoutable,
Il souffre même en appliquant la loi. »
De Thémis on vit la balance.
Echapper alors de la main
Du Juge rougissant de sa grave imprudence ;
Et ce mortel depuis se montra plus humain.

Le premier des états serait celui de juge,
S'ils étaient tous guidés par l'équité :
Auprès d'eux l'innocent doit trouver un refuge,
Le criminel l'inflexibilité.

Livre II, fable 16




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