Ami, louerai-je en toi les doux charmes de l'âme,
Et les purs attraits de l'esprit,
Ces émanations d'une céleste flamme,
Qui font l'homme d'élite et l'homme de crédit ;
Louerai- je en toi ces biens, dont tout le monde avoue
Qu'un Astre bienfaisant prit soin de te douer ?
Mais, tu ne veux pas qu'on te loue,
Et, moi, je ne sais pas louer.
Ami, permets, du moins, qu'envers toi, dans mon livre,
J'acquitte la dette du cœur ;
Ah ! quel que soit le temps que l'œuvre devra vivre,
Ton nom lui portera bonheur ;
Car, en nos jours, hélas ! où tout marche si vite,
Heureux qui, d'un saint nom, peut se faire un appui !
Oui, ton nom doit sauver mon œuvre de l'oubli ;
Et l'Avenir dira : « Bien était- ce un mérite,
Un vrai los, pour l'auteur, d'avoir un tel ami ! »
Et, maintenant, je vais te rapporter l'histoire
De certain Magistrat, dont l'austère à- propos
Me devait, aujourd'hui, revenir en mémoire,
Tant je retrouve en toi les traits de mon héros.
Sous Henri Quatre d'Angleterre,
Un des pages du Prince Henri,
Fils aîné du Monarque, -est, pour certaine affaire,
Dont la Chronique fait mystère,
Au banc du Roi déféré, puis saisi
De par ce tribunal. Le prince aimait ce page ;
Il regarde comme un outrage,
Que, sans daigner le prévenir,
On se soit permis de saisir
Un des sujets tenant à son service :
Lorsqu'on est Prince, a-t-on le temps de réfléchir ?...
Droit au siége de la justice,
Vous le voilà qui, tout courant,
Se rend.
Il entre, et d'abord, il ordonne
Que réparation soit faite à sa personne :
Mais, afin, ce dit-il, qu'il soit bien constaté,
Remettez, sur-le-champ, mon page en liberté.
A ces mots, Sir William Gascoigne,
Le chef de la justice, au jeune Henri témoigne
Combien il est surpris que l'héritier des Rois
Ose bien, du royaume, enfreindre ainsi les lois.
Si vous voulez, dit-il, que votre page évite
De ces lois la juste rigueur,
Écoutez la voix de l'honneur,
Qui, par la mienne, vous invite,
Mon Prince, à recourir au Roi, notre Seigneur,
Et le vôtre ; lui seul a droit de faire grâce...
Or, le Prince s'irrite ; il s'emporte, il menace...
Le Lord-Juge reprend soudain :
Prince, j'occupe ici la place
Du Souverain,
Et du Souverain votre père.
Sous ce double titre, j'espère
Que vous saurez doublement m'obéir :
Qui sait s'humilier, Prince, sait s'ennoblir !
A mon tour donc, je vous ordonne
De renoncer à vos projets ;
Vous, qui devez ceindre, un jour, la couronne,
Donnez un autre exemple à vos futurs sujets.
Pour réparer la désobéissance,
Et le mépris tout à la fois,
Que vous venez de marquer pour les lois,
Vous vous rendrez, de l'audience,
À la prison ; et, sous les droits sacrés
De votre bonne foi, vous y demeurerez
Jusques à tant que le Roi, notre maître,
Ait, à vous comme à moi, mon Prince, fait connaître
Sa souveraine volonté.
La gravité du Juge, et son autorité,
Frappent, comme d'un coup de foudre,
L'esprit altier du Prince ; et l'on voit se résoudre
Son orgueil en humilité.
Sans donc répliquer davantage,
Il remet son épée à tels que de raison,
S'incline avec respect devant l'aréopage,
Et puis, se rend à la prison.
Mais, au Roi l'affaire est déduite.
Le Roi, de Sir William, approuve la conduite ;
Puis, tout à coup, devers les cieux,
Il lève les mains et les yeux,
Et s'écrie : 0 mon Dieu, quelle reconnaissance
Ne dois-je pas à ta bonté !
Il est donc vrai, tu m'as fait l'assistance
D'un juge, dont la fermeté,
Aux lois maintenant leur office,
Ne reconnaît, pour tous, qu'une même justice !
Il est donc vrai, tu m'as, en outre, fait présent
D'un tel fils, qui, non- seulement,
Sait obéir aux lois, mais peut, dans l'occurrence,
Sacrifier, incontinent,
Sa colère à l'obéissance !
Ami, qu'il fait beau voir, en cette occasion,
Le Magistrat, le Prince, et le Monarque,
Honorant tour à tour leur sainte mission !...
Bon, diras-tu peut- être, où tend cette remarque ?
N'est- ce qu'une admiration
Des temps passés ? Ou bien, serait- ce une censure
Des temps présents ? Non, non, de par ma foi ;
Et ton intégrité m'assure
Que, si, parmi nous, d'aventure,
Même cas échéait, nous reverrions, en toi,
Un autre Sir William !... Mais, le Prince, et le Roi ?...
Oh ! puis-je, à cet égard, sans plus de conséquence,
Te dire, Ami, ce que je pense ?
Il est, quelquefois, bien chanceux
De faire de certains aveux...
Risquons, pourtant, ma confidence :
M'est avis que nos Rois, -
- pour autant que la France
Dût s'y reprendre un jour, soit que pis, soit que mieux, -
Et les Princes, leurs fils, ne laisseraient de faire,
Pour un égal respect des lois,
Cela qu'on vit faire, autrefois,
À ces deux Henri d'Angleterre...
Hélas ! j'entends, de toute part,
Maintes voix s'écrier : Anathème ! Anathème !...
Pardon, Messieurs : bien grand jugez-vous mon écart,
Mais, mon repentir est extrême ;
Et, vous savez, d'ailleurs, quel Magistrat est là,
Dont le contrôle respectable
Tient le corps du délit ; peut-être il m'absoudra,
Et, vous m'estimerez, à coup sûr, moins coupable...
Ami, toi, dont le cœur jamais ne me faudra,
Tu vois si je devais te dédier ma fable.