Le Vieux Mari et sa Seconde Femme Etienne Catalan (1792 - 1868)

Riche Barbon, à demi cacochyme,
Veuf depuis moins d'un an, - le mal n'est en cela, -
S'avisa d'épouser, le vieux fou, - car, son crime,
Oui, son vrai crime, le voilà, ―
Jeune Fille, que la misère
Poussait, tête baissée, en ce beau guêpier-là...
Bon, m'objecterez-vous, elle n'ignorait guère
Qu'elle allait épouser moins un époux qu'un père :
D'accord, et la trouvé-je excusable en un point.
Mais, le Grison, certes, ne l'était point :
Voir ainsi, contre l'ordre et des temps et des choses,
Mêler à la saison des roses
L'austère saison des frimas,
Oh ! combien c'est pitié, m'opposât-on le cas
Du bonhomme Tithon avec Madame Aurore !
Ces vieux et laids maris, s'ils se piquaient encore
De plus de petits soins, pour leurs gentes moitiés,
Qu'elles n'auraient eu lieu, peut-être, d'en attendre
D'époux jeunes et beaux ! Non ; souvent, à tout prendre,
Leurs amours ne sont pas même des amitiés.

Tout le temps qu'il trama son nouveau mariage,
Braise ardente semblait ce franc patte-pelu ;
Mais, dès lors qu'il eut mis la belle en son servage,
Il redevint de glace, et se montra bourru.
Quelle lune de miel ! Il chantait à sa femme,
En ut, en sol, en si : Par Jésus ! feu Madame
Faisait ceci, cela, bien autrement que vous !…..
Chauffez-moi donc les pieds ! ... Frottez-moi donc la tête !
Vous me laissez manquer de sirop pour la toux !...
Bref, c'était, jour et nuit, tempête sur tempête,
Avec force regrets pour la défunte. Hélas !
Il aurait dû chérir et bénir la vivante :
Femme rare, en effet ! Malgré tout ce tracas,
Toujours il la voyait, affable et souriante,
Obéir, la pauvrette, à ses moindres désirs.
Telle une Sour hospitalière,
Telle notre Ange, en ses loisirs,
Faisait quelque julep, disait quelque prière :
C'était là son bon temps, et ses plus doux plaisirs !

Mais, vous allez savair un étrange caprice
Du vieux podagre . Un jour qu'elle était à genoux,
L'âme et les yeux au Ciel : Pour qui donc priez-vous ?
Demande-t-il ; à quoi, sans ombre d'artifice,
Elle répond : Un peu pour moi, beaucoup pour vous !...
Beaucoup pour moi, c'est trop, lui repart le maussade,
Et je vous quitte de ce soin :
Beaucoup pour moi, suis-je donc si malade,
Que vous pensiez qu'il soit déjà besoin,
A mon intention, de battre la chamade ?
Un peu pour vous, c'est trop encor :
A quels vœux si pressants donnez-vous donc l'essor,
Qu'on ait omis, le Ciel ou moi, d'y satisfaire ?
Non, ce n'est point là votre affaire :
Pour moi, pour vous, c'est trop, beaucoup trop, vous dit-on.
Mais, que si vous avez du goût pour l'oraison,
Contentez-vous priez, priez pour Feu Madame ;
Vous m'entendez, pour Feu Madame, ou, sur mon âme,
A l'instant j'en aurai raison !
Le rustaud !... Il venait de combler la mesure,
Et l'Ange ouvrit les yeux : la voix de la nature
Prenait- elle, enfin, le dessus ?
Oh! non, se révolter n'était point sa manière ;
Mais, en sa propre panneautière,
L'ours s'était panneauté ! Donc, sans marchander plus,
Elle quitte un moment sa chaîne,
Et, pour s'y confiner, court à sa chambre. A peine
Elle en refermait l'huis, qu'elle entend le perclus
Crier tout du haut de sa tête :
« Ah! mes pieds! Ciel, mes bras ! Bon Dieu, mes reins ! »
— Motus.-« Au secours! ...Venez tôt ! ... »- Néant à la requête...
- « Ne m'entendez-vous pas, sotte, que je maudis ?...
Quoi donc, me voulez-vous laisser mourir, infâme ?... »
Refoulant sa pitié, notre Ange, à cette gamme,
Tout doucement répond à travers l'huis :
Patience, pour Feu Madame,

Ce trait va droit au but ! ... Le tyran s'humilie :
N'achevez pas ! dit-il, j'y tiens si peu, m'amie !
Feu Madame est au Paradis :
Tirez-moi de l'Enfer ! ... Mon trésor, ma chérie,
J'étais un âne, un buffle : ah ! rendez-moi la vie ;
Et, je vous jure, à deux genoux,
Qu'elle sera, désormais, toute à vous !...
Il n'avait pas fini ; déjà la noble dame
Lui prodiguait des soins et de fille et de femme,
Devoir, qu'elle trouvait bien léger, cette fois :
Elle avait reconquis ses droits....
Ses droits ! ... Vit-on jamais âme plus charitable ?
Ses droits, c'était le seul désir
Qu'il cessât d'être ingrat, ce Vieillard détestable,
Ce fantôme d'époux, mû par l'esprit du Diable ;
Et qu'il permît qu'à l'avenir
Elle pût librement à ses maux compatir !
Cherchez, et découvrez, aujourd'hui, sur la terre,
Un pareil trésor de bonté!
Non, non, il est aux cieux, proche de Dieu le Père,
Où, sans doute, selon ce qu'il en a dû faire,
C'est l'Ange de la Charité !

O vous donc, qui, touchant au déclin de la vie,
Rêvez de nouveaux nœuds, bien folle est votre envie :
Il n'est, mon beau Vieillard, et ne l'oubliez pas,
Plus de ces Anges ici-bas !...
Mais, s'il se venait d'aventure,
Audacieux et fortuné Barbon,
En vos filets dorés, comme en ceux d'un larron,
Prendre une blanche créature :
Mettez, vite, à ses pieds, joyaux, fleurs, et rubans ;
Nourrissez-la de miel, enivrez-la d'encens ;
Faites-vous une loi de sa moindre parole ;
Bref, qu'elle soit, pour vous, un Oracle, une Idole !
Puis, quand viendront les fâcheux incidents
Du rhumatisme et de la goutte,
Efforcez-vous, coûte que coûte,
A lui sourire un peu, si que d'un prompt secours
Doux octroi la belle vous fasse :
Les ans nous sont déjà d'assez tristes atours ;
Et, ce n'est le moyen d'affiner les Amours,
Que de leur faire la grimace !
Mais, surtout, n'allez pas lui vanter les vertus
De la Défunte, et, par trop haut, lui dire
Qu'elle s'y prenait mieux, ou qu'elle en faisait plus :
Ses bons soins tourneraient en grands éclats de rire !
Et, que serait-ce, hélas ! si, du sens perdant l'us,
Comme ce maître sot, vous alliez lui prescrire,
Pour Feu Madame, un beau De Profundis ?
Notre belle, à ce coup, vous tiendrait en démence :
Oh! vous l'entendriez, la mièvre, tout d'avance,
En entonner, pour vous, non pas un, mais bien dix,
Et prier Dieu que, par prudence,
Il mette, au grand plus tôt, en son saint Paradis,
Le plus stupide des maris !...
Des Anges d'à présent, telle est la patience :
Vieillard, tenez-le-vous pour dit ; et, bonne chance !

Livre V, fable 20




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