Le jeune Cheval et le vieux Emile Erckmann (1822 - 1899)

Un superbe coursier s'en allait à la guerre ;
Tout respirait en lui la fureur des combats.
Et, le mors blanc d'écume, il hennissait tout bas
En martelant du pied la terre.
Un pauvre vieux cheval, qui traçait son sillon
Au revers du chemin, labourant la prairie,
La tête basse et l'échine amaigrie
Couverte d'un méchant haillon,
Le vit et lui cria d'un ton mélancolique :
« Comme toi je fus beau, courageux, héroïque.
En tête de mon escadron,
J'ai chargé mille fois au fort de la bataille,
A travers les boulets, les obus, la mitraille,
Les cliquetis du fer et l'appel du clairon.
Ces jours-là, camarade, étaient mes jours de fête ;
Je volais à la gloire à travers la tempête
Et je n'entendais pas la plainte des blessés.
Aujourd'hui, tu le vois, ces beaux jours sont passés.
Triste et rêveur, en traînant ma charrue,
Je vis de souvenirs ; un rustre me dit : Hue !
Il faut marcher. — Allons, beau destrier,
Bonne chance je te souhaite !
Ne te fais pas estropier,
Et lève un peu moins haut la tête... »
Je vous le dis, en vérité,
La justice en ce monde,
N'est qu'une illusion profonde
Amis, croyons à l'immortalité.

Livre II, fable 14




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