Le Vieillard et Soliman II Etienne Catalan (1792 - 1868)

Un soir, bravant cimeterres et lances,
Demi-nu, l'œil en feu, la pâleur sur le front,
Certain Vieillard, aux pieds de Soliman Second,
Vient se plaindre des violences,
Dont, jure-t-il Allah, deux inconnus,
Deux soi-disant Dervis à sa table reçus,
Remplissent, depuis tout à l'heure,
Son hospitalière demeure.

Le Monarque, à ces mots, s'indigne, et, sans tarder,
De suivre le Vieillard jusqu'au seuil de sa porte ;
Puis, il s'arrête et dit : Si c'étaient eux !... N'importe !...
Aussitôt, à ses gens on l'entend commander,
Que, de par Mahomet, l'inflexible Prophète,
Justice de tout homme à tout homme soit faite !...
Éteignez, poursuit- il, jusqu'au dernier flambeau...
Bien : saisissez-vous des coupables ;
Couvrez-leur, à chacun, la tête d'un manteau,
Et poignardez les misérables !...

Mais, ses ordres exécutés,
Il entre à pas précipités ;
Fait rallumer les flambeaux, considère
Les corps des criminels ; lève les mains aux cieux,
Et puis s'écrie : Allah le Père,
Toi, qui m'as épargné ce coup de ta colère,
Allah, béni sois-tu !... Ce ne sont donc pas eux !...
Quelle faveur d'en haut, Prince, avez-vous reçue ?
Demande à Soliman son Ministre. Vizir,
Répond le Souverain, tu sais quel déplaisir,
Par leur conduite dissolue,
Me causent, chaque jour, mes fils ; je les croyais,
Ces malheureux enfants, coupables de l'outrage,
Dont s'était plaint à moi ce Vieillard. Je craignais
Que, si l'on n'eût éteint ces flambeaux, le courage
Ne défaillit en moi ; que l'amour paternel
Ne me fit, un instant, manquer à la justice,
Cette loi qui n'admet faiblesse ni caprice,
Et dont nous devons compte, au nom de l'Éternel,
A tous les sujets qu'il nous donne,
Sans faire acception de rang ni de personne.
Juge combien je dois bénir
Celui de qui la sagesse préside
A tout ce qu'ici-bas nous voyons s'accomplir :
En ce fatal devoir qu'il m'a fallu remplir,
Ah! je suis juste, Ami, sans être parricide !

Gardons-nous d'envier la fortune des Rois :
Où le vient requérir l'autorité des lois,
D'étouffer, dans leur cœur, la voix de la nature ;
Qu'il leur faut de vertu, pour régner à ce prix !-
Quoi, si la justice l'ordonne,
Lui doivent-ils livrer jusqu'au sang de leurs fils ? -
Oui, repart Soliman, c'est un devoir du trône !...
Oh ! Séleucus avait raison,
Et son mot, de nos jours, est encor de saison :
Qui saurait, disait-il, le poids d'une couronne,
Bien que, pour s'en saisir, il n'eût qu'à se baisser,
Ne daignerait la ramasser !
Être contraints, hélas ! en toute conjoncture,

Livre VI, fable 6




Commentaires