Le Vieillard et le jeune Homme Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

Dans le labyrinthe de Crète
Deux malheureux s'étaient perdus :
L'un d'eux avait vingt ans au plus,
Et, pour trouver une prompte retraite,
Il s'agitait, faisait mille pas superflus ;
L'autre, accablé du poids de sa vieillesse,
Avec plus de calcul, de lenteur, de tristesse
En le grondant toujours s'égarait comme lui.
<< Crois-tu, lui disait- il, malheureux étourdi,
Fuir, en courant, le péril qui te presse ?
C'est à pas lents que la sagesse
Ordonne aux hommes de marcher.
Conduit par le hasard, guidé par la folie,
Tu t'éloignes du but que nous devons chercher ».
— « Fort bien, reprit son camarade,
Ta vieillesse et ta goutte ont dicté cet avis :
En le suivant je reste en l'état où je suis.
Comme ton corps, ton esprit est malade :
Si je t'imite, ici nous périrons.
Tu perds le temps, et moi je l'emploie à la course.
Ce n'est que par hasard que nous nous sauverons ;
Le hasard seul est ma ressource.
A force de courir j'espère retrouver
L'heureux chemin auquel tu vas rêver ».
Continuant tous deux à chercher une issue,
L'un en courant, l'autre à pas de tortue,
Tous deux s'épuisèrent en vain,
Et virent dans ces lieux terminer leur destin.

Ce labyrinthe est l'image du monde :
Chacun y cherche le bonheur.
En désirs trop ardens la jeunesse féconde,
Court d'objet en objet et d'erreur en erreur.
L'âge arrive et détruit ces ombres mensongères :
En méditant, raisonnant, calculant,
La vieillesse, l'oeil morne, avance d'un pas lent,
S'efforçant d'embrasser de plus graves chimères,
De ses tristes écarts la jeunesse se rit ;
Et la vieillesse qui la gronde,
Ainsi qu'elle, manquant le but qu'elle poursuit,
Arrive sans succès aux sombres bords de l'onde,
Où toute erreur s'évanouit.



Conte

Commentaires