Il parle ! ..., il parle , dis-je; il vient de me parler...-
Eh ! de qui parlez-vous ? De quel nom, je vous prie,
Ce prodige parlant, devons-nous l'appeler ? ... —
C'est le Tigre de Barbarie,
Ce fier Tigre Royal, l'effroi de l'Algérie,
Qu'après maint espoir décevant,
Nos Colons prirent tout vivant,
-
Et qu'aujourd'hui l'on voit à la Ménagerie...
Dieu sait combien d'amour, et de zèle, et de soins,
En ce siècle, soit homme ou bête de tuerie,
On a pour eux ; comment, à leurs moindres besoins,
On pourvoit ! Du malheur il n'est point de victime,
Qui nous touche à l'égal de ces Héros du crime ;
Bref, nous leur réservons bon loger, bon nourrir,
Et bons valets pour les servir.
Devers sa Majesté tigresse,
Moi, ce matin, j'avais porté mes pas.
J'arrive : c'était l'heure, où, chaque jour, on dresse
Au Prince son premier repas,
Qu'on place devant lui, tout juste à la manière
De l'Orient ; c'est-à-dire qu'à terre,
Dans un plat, non pas d'or, mais, pour le moins, d'étain,
On vous lui sert son picotin ;
Et quel picotin ! Une viande,
Toute saignante encore, et si friande,
Qu'on se fût volontiers mis à table avec lui ;
Si friande, que l'eau m'en venait à la bouche !
Mais, lui , comme affaissé sous le poids de l'ennui,
Des dents il n'y touchait tout au plus qu'à demi ;
Et, sur moi, promenant un long regard farouche,
Il me semblait, alors, vouloir m'interroger,
Et me dire d'un ton sévère :
Viens-tu pour insulter, méchant, à ma misère ?
Je vous laisse donc à juger
De mon étonnement ! S'il pouvait, me disais-je,
Comme les Tigres d'autrefois,
Parler et me répondre ; à mon tour, lui ferais -je,
De ma plus séduisante voix,
Pour adoucir l'humeur sauvage
De ce Numide Anthropophage,
Deux ou trois humbles questions.
Mais, au surplus , que risqué-je ?... Essayons ...
Et, d'abord, avec déférence,
La tête entre les mains, je fais la révérence,
Comme on la fait chez eux ; puis de dire : « Seigneur,
Permettez-moi d'avoir l'honneur
De vous entretenir un moment... » Ah ! sans doute,
Mon respect l'a calmé ; car je vois qu'il m'écoute,
Et je poursuis : « Seigneur, vous êtes en bon air,
A quelques pas, au plus, d'un jardin botanique,
Dont maints sujets tirés d'Afrique,
Vous doivent , par leur doux éther,
Faire ressouvenir des campagnes d'Alger ;
Votre habitation, petite , mais commode,
Est un séjour qu'on n'inféode
Qu'à des gens de renom, mon Prince, tels que vous ;
Et quant au vivre, vertuchoux !
Sans vouloir rien vous dire, ici , qui vous offense,
Vous en avez , Seigneur, bonne et large pitance ;
A part la prison et l'exil,
Que tout héros, moins grand que vous fût-il,
Se plaît à prendre en patience,
On vous donne, à souhait, le couvert, le manger ;
D'où vient ce front rêveur ? De deuil et de tristesse,
Ah! le devons-nous voir à jamais s'ombrager ?
Pour vous mettre, Seigneur , un moment, en liesse,
Que vous faudrait-il ?... » —
« Égorger ! ...»—
Telle fut sa réponse, et j'en tressaille encore !
Elle me fit, d'un bond, reculer de vingt pas :
Griffes et dents, marteaux et coutelas
De tous les Égorgeurs, qu'il semble qu'on honore
En ce pays, tant bien on les y choie : hélas !
Je crus, tout d'une fois , voir toutes leurs atteintes !
Je crus sentir le sang, je crus ouïr les plaintes
De tous les malheureux expirant sous leurs coups !
Alors de m'écrier, en ma sainte colère :
Le beau moyen, Tigres, Hyènes, Loups,
Pour rompre votre caractère,
Que le Régime cellulaire !...
Et vous, qu'avez-vous fait, ou bien , que ferez-vous,
Législateurs bénins d'un siècle débonnaire ?
Jean vous l'a dit plus d'une fois :
« Le naturel est un, jamais il ne varie
Ni ne change. » Ce sont vos lois,
Qu'il vous faudra changer ; car, de la bergerie,
Lorsqu'un de nos loups sortira,
Silence, isolement, rien de rien ne fera ;
Et, s'il y rentre, je parie
Que, loup comme devant, il nous égorgera.
En vain, pour les dompter, vos esprits s'évertuent ! ...-
Quoi, les tuerons-nous donc , de peur qu'ils ne nous tuent ?
Ah ! sur qui que ce soit , je n'appelle la mort,
Non plus que sur moi-même !... —Or, quel est donc le sort
Que vous leur voudriez ? me dit-on, ce me semble...
Quel sort je leur voudrais tout par delà les mers,
Déportez-les , peuplez- en les déserts ;
Qui se ressemble, qu'on l'assemble,
Car les loups ne se mangent pas ;
Et, que s'ils se mangeaient, ce serait grand soulas,
Je dis plus, ce serait, de leur part, œuvre pie ! ...
Tout beau, ne viens-je pas de chanter sur deux tons ?...
Mais, l'un est le refrain d'une belle utopie,
Et, l'autre, le refrain de ma philanthropie :
Traquer, tuer les loups, c'est sauver les moutons !