Un jour les animaux sauvages,
Pour s’illustrer,
Résolurent de se titrer
Tout en supprimant les servages ;
C’était fort beau déjà,
Mais pas assez, et l’on songea,
Dans une agape présidée
Par un jeune lion, —
Car c’est là, paraît-il, que surgit toute idée —
On songea qu’il fallait, mais sans rébellion,
Faire un gouvernement d’une nouvelle forme.
On choisit aussitôt le représentatif
Comme le plus récréatif
Et l’on publia la réforme.
Les fauves de partout parurent satisfaits
De cette source de bienfaits.
Dans les divisions rurales
Les élections générales
Se firent partout à la fois.
Personne ne vendit sa voix.
Mais une élection fut cependant perdue
À cause, paraît-il, de l’influence indue.
Des lièvres, des lapins, des singes, des renards,
Des loups et des élans, et même des canards
Vinrent siéger dans ces Communes.
On nomma sénateurs des caribous rassis,
Des ours graves, des cerfs, des tigres radoucis,
Tous fauves au-dessus des mesquines rancunes.
De par le droit coutumier
Dont tout peuple s’honore,
Un lion à la voix sonore
Voulut être premier.
Secouant sa crinière, ouvrant son œil de flamme,
Il commenta son grand programme,
Et la droite battit des mains.
La gauche s’irrita ; plus vive que polie,
Elle dit que jamais, même chez les humains,
On avait vu telle folie.
Chacun resta de son côté ;
Cela s’appela loyauté.
Après tout les affaires
N’en allaient pas plus mal ;
Si l’état du budget se montrait anormal,
C’était la faute aux adversaires.
Chez les bêtes encore on verrait sûrement
Ce bon gouvernement,
Si, du fond de son antre, un vieux loup philosophe
N’avait, d’un ton fort solennel,
Lancé cette apostrophe :
— Votre gouvernement constitutionnel,
C’est la tyrannie,
Sottement bénie,
D’un seul par le moyen de tous.
Vainement un renard lui dit :
— Qu’en savez-vous,
Pour parler de cette manière,
Ô loup qui dans votre tanière
Restez comme sous un linceul ?…
C’est le règne de tous par le moyen d’un seul.