Rounject-Singh et l'Archéologue. Etienne Catalan (1792 - 1868)

Rounject-Singh gouvernait l'Empire,
Où, de ça deux mille ans, avait régné Porus ;
Un de ses sujets vint lui dire :
Prince, dans tes États, des gens sont apparus,
Lettrés de l'Occident, qu'on nomme Archéologues,
Et que tes plus anciens Séicks
Tiennent pour des Devins et pour des Astrologues.
Munis de leviers et de pics,
En un district voisin, ces gens, pour quel mystère ? —
On ne le sait, -allaient fouillant partout la terre ;
Et, dès qu'un tel objet rond à la fois et plat,
Du reste fort petit, et d'ailleurs sans éclat,
S'offrait à leurs regards, c'était pour eux merveille,
Et de s'en emparer comme d'un Dieu vivant.
Mais, soit Dieux ou Démons, qu'ils vont ainsi trouvant,
Ils en avaient déjà tout plein une corbeille,
Quand, songeant que Rounject veut par ses yeux tout voir,Tes fidèles Séicks se sont fait un devoir,
Prince, de t'amener ces hommes et leur prise.

Du Monarque, à ces mots, grande fut la surprise,
Et peut-être plus grand fut son espoir encor.
Il s'imagine qu'un trésor
Est caché là- dessous ; il veut que, sans remise,
De ces Européens on fasse entrer celui,
Qui, dit-on, porte une corbeille,
Et que, jusqu'en sa tente, et qu'il soit près de lui,
Incessamment on le surveille...

Or, voici l'Étranger !... Soudain, à son aspect,
Rounject, l'impatient Rounject,
À moitié, du tapis qui lui servait de siége,
Se soulève ; et plongeant, avec un vif émoi, -
Non qu'il craignit pourtant de sortilège, —
Sa main dans la corbeille , il en retire , quoi ?...
Une médaille en bronze, et passablement fruste,
De l'un des Successeurs d'Alexandre... Rounject
Était borgne ; trouvant ce premier cas suspect,
Du seul ceil qui restât à sa personne auguste,
Rounject approche bel et bien
Le débris Macédonien .
Mais, en vain, il le fait avec persévérance,
Tourner entre ses doigts ; son rayon visuel
Le plus puissant, le plus intense,
Ne découvre rien là que de fort usuel,
Du cuivre, et quelques traits camus... Dans son attente,
Ainsi trompé, le Roi s'impatiente,
Et, vouant au défunt un mépris actuel,
Tout d'abord vous le lance au bas bout de sa tente.
Puis, ensuite, sans dire mot,
Même examen, même cas, même lot,
Pour tous les Conquérants qu'il sort de la corbeille :
Autant de pris, autant leur en pend à l'oreille ;
De ces héros de cuivre il jonche tout le sol.
Puis, quand, jusqu'au dernier, chacun a fait son vol,
Et sa chute, Rounject de s'éclater de rire.
Et puis, enfin, notre moqueur de dire
A toi, mon beau Lettré, mon grand Savant ; conviens
Que les Européens sont fous. Quoi, pour ces riens
Sortis d'un vil métal, franchir la terre et l'onde !
Quoi, les venir chercher jusques au bout du Monde !
Quel motif donc en fait , non pas l'utilité ,
Mais la valeur pour vous ? ... Leur haute antiquité !
Lui répond l'Étranger, d'une voix grave, austère …..
Tu te trompes, repart soudain
Le bouillant Rounject-Singh, en déployant sa main,
Qu'il venait de remplir de terre ;
Car, Dieu seul pourrait dire au juste la hauteur,
Où remonte ceci , qui n'a point de valeur !

Quel sens pour un Mogol ! En vain nous ferions gloire
De tenir en nos mains toute l'Antiquité ;
Mon Dieu, quand lirons-nous jamais, dans ta mémoire,
Cette incommensurable histoire,
Dont nous n'avons qu'un mot encor : l'Éternité !

Livre VI, fable 10




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