A Maitre Sot, Conseil ne vaut Etienne Catalan (1792 - 1868)

L'infâme ville que Paris !
Disait certain Quidam ; si je mettais en compte
Tout ce que les Voleurs, depuis un an, m'ont pris,
Vous le tiendriez pour un conte.
Ces gueux semblent de moi faire leur vache à lait ;
Et c'est au point que, pour la moindre course,
J'y laisse mon mouchoir, mon lorgnon, ou ma bourse.
Mais, écoutez ce dernier trait,
Et sachez jusqu'où vont quelquefois leurs surprises :
Hier, au sortir des Assises,
Où j'en avais fait , pour ma part,
Condamner trois , je traversais la Place
Du Vieux Palais... Ce n'était pas bien tard ;
A peine il faisait nuit... Voyez, pourtant, l'audace !
Quelqu'un m'aborde, et, crac, m'enlevant mon chapeau, -
Notez que ce quelqu'un avait la tête nue,
Il s'incline , et me dit : « Monsieur, je vous salue » ;
Puis, il se couvre, et fuit... Et, moi, là je restais
Immobile, et doutant de ce que je voyais...
<< Pendard ! crie une voix ; car le tour est pendable,
Si l'on pendait encor... Pour constater le fait,
Sachons l'heure, Monsieur ? » ... Vous auriez cru le Diable,
Tant le drôle fut prompt à vider mon gousset,
Que voilà veuf, hélas ! de la plus belle montre ! ...
De loin, ce Coquin me la montre,
Et, me narguant : « Monsieur, merci de la Bréguet ! ...»
Interdit, abattu, je demeurais en panne...
Une autre voix : « Monsieur, prêtez-moivotre canne ;
Elle est à pomme d'or ! c'est bien ; je vous promets
De ne vous la rendre jamais,
Si, là, - ne bougez pas, dans peu je ne ramène --
Ces deux Bandits » ; et, zest, il file comme un Renne...
A ce coup, je reviens à moi... C'est de malheur
Jouer trois fois, me dis-je : — Au Voleur ! Au Voleur !...
Aussitôt on m'entoure, aussitôt on s'informe ;
Dès que j'eus dit le fait : « Il faut, en bonne forme,
En aller déposer » , criaient-ils à la fois...
Et, durant que j'étais étourdi de leurs voix,
Ils me tiraient deçà, delà, tant à l'extrême ,
Qu'ils me semblaient vouloir me voler à moi- même !
Mais, ce n'était pas moi qu'étreignait leur étau ;
J'en sortis , et le Diable eut encor mon manteau !...
Pour y suffire, Amis, il faudrait le Pactole ;
Donnez-moi sur ce point, de grâce, un bon avis :
« Eh ! mais, lui repart-on, il n'est, en tout pays,
Qu'un moyen pour ce cas ; on le sait à l'École ;
Portez des armes » ... Ouais ! fit notre homme surpris :
Des armes ?... pour qu'on me les vole !

Pauvres esprits que nos Législateurs !
Car, ces gens auraient dû comprendre
Que c'est trop peu de punir les Voleurs,
Lorsqu'ils volent des biens qu'on ne sait pas défendre ;
Je punirais encor ce peuple de Niais,
Peuple qui porte écrit en tous ses traits :
« A beaux Larrons, salut ! Ici, rien n'est à vendre...
Prenez, Messieurs, prenez chez nous, qui voudra prendre ! »