Un pauvre hère et son Grison
Avaient à jeun fait longue route.
Marcher est peu, quand la saison
N'expose à rien que l'on redoute :
Mais sans manger point de printemps.
Nos compagnons juraient entre leurs dents,
Ne les pouvant occuper à mieux faire.
Le maître n'avait pas un fou ;
L'Ane partageant sa misère,
Avait, de plus, bât et licou.

Comme ils passaient auprès d'une prairie,
Un bon Berger les appela.
Bon Dieu ! dit-il, que vous voilà
Tristes, rêveurs ! Ah ! je parie
Que vous jeûnez sans en avoir fait vous.
Venez, venez, asseyez-vous un peu :
Mangez beaucoup ; grand bien vous fafse ;
Voilà du pain ; cela délasse.
Besoin accepte sans façon ;
Besoin est sans cérémonie.
On débarrasse le Grison ;
Et sans licou, sans bât, il gagne la prairie.
Le Maître cependant, sans compter les morceaux,
Mâche à moitié le pain que le hasard lui donne.
Le pain devient biscuit quand la faim l'assaisonne.

Malheur à vous, petits oiseaux,
Qui le voyez et comptez sur les miettes !
Si de long - temps d'autre repas ne faites,
Vous jeûnerez. Dans ce moment
Que faisait l'Ane sur l'herbette ?
Il s'y vautrait tout doucement.
Ane maudit, insouciante bête !
Lui dit son Maître transporté.
Hé ! mange, mange donc, pécore.
Oui, lui dit l'Ane avec tranquillité ;
Je sens bien que j'ai faim ; mais je sens mieux encore
Le plaisir de la liberté.

Livre II, fable 11




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